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 Le théâtre des opérations de Maurice G. Dantec

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LP de Savy
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MessageSujet: Le théâtre des opérations de Maurice G. Dantec   Le théâtre des opérations de Maurice G. Dantec Icon_minitimeMer 14 Sep 2005 - 15:18

Déjà en 2001...

Dantec s'en va-t-en guerre

ESSAI

Rien ne trouve grâce aux yeux de l'imprécateur. L'injure, l'invective, la paranoïa animent son « Théâtre des opérations ». Mais le talent est là aussi.

par Jacques-Pierre Amette

A peine l'ouragan médiatique Houellebecq est-il provisoirement passé que voici le cyclone Maurice G. Dantec. Qui est cet écrivain ? Connu par quelques « Série noire » (« La sirène rouge », « Les racines du mal », « Babylone Babies ») publiés entre 1993 et 1995, il semble que l'auteur ait atteint son véritable objectif avec son « Journal métaphysique et polémique » : penser.

D'emblée, « Le théâtre des opérations » se présente comme un carnet de guerre métaphysique, poétique, théologique, politique. Un homme a quitté la France parce qu'il en vomit l'ambiance humanitaire et socialiste. Dantec s'est installé à Montréal, dans un loft avec vue sur le ciel « bleu cobalt ». Comme Houellebecq, il s'acharne contre la culture socialiste, ses réseaux, ses chapelles : Télérama aussi bien que Le Nouvel Obs sont ses bêtes noires. Comme Houellebecq, il jette la malédiction sur l'humanisme rationaliste égalitariste (dont la source est Jean-Jacques Rousseau), le relativisme culturel symbolisé par les nouveaux ghettos festifs proposés jadis par Jack Lang. Il trouve amorphe la littérature de ceux qui sont nés après 1945, s'autoglorifie sans pudeur, relit ses maîtres, qui vont de Joseph de Maistre à Nietzsche ; mais, plus intéressant, il lit aussi les meilleures revues scientifiques américaines qui nous parlent de la naissance du monde. Ajoutez Deleuze et Léon Bloy, Pierre Drieu la Rochelle et tous ceux qui font du catastrophisme une philosophie pleine d'allant, de bûchers, d'invectives. Car, là, Maurice G. Dantec, superguerrier nietzschéen sorti d'un opéra-space, se révèle aussi fort que le capitaine Haddock : ses insultes vont du « subnihilisme snobinard » - que j'aime beaucoup - à « pompeux cloportes » ou ce subtil « crétinoïdes papivores ».

Des haines suspectes...Tous les défauts français de la littérature actuelle sont réunis chez lui : surévaluation de son moi pensant, débinage systématique des confrères, menaces sur la presse, arrogance harcelante, comportement paranoïaque, inlassables imprécations sur un milieu littéraire qui ne reconnaît pas son génie assez vite. Quelle banalité de l'époque... Ajoutez de longs développements charabiesques sur la politique et la religion, dressage de listes - ce qui sent très mauvais - et élimination (métaphorique... heureusement !) de ceux qui agissent, commentent, écrivent, pensent autrement que notre sabreur.

Car Dantec est à la fois guerrier du Christ, prophète au « coeur du brasier ardent », et, bien sûr, atrabilaire amoureux de l'Antiquité, misanthrope tremblant d'affection pour la pauvre humanité en perdition... Du haut de son loft, Dantec barbouille donc des horreurs sur le Paris socialo, commente en inspiré l'ex-Yougoslavie et Arianespace. Il reconstruit l'histoire du monde depuis l'écriture cunéiforme, se prépare des cocktails à base de café soluble et de cacao, avec cannelle et autres ingrédients. Il rugit, bondit, miaule, feule, dépèce ses proies, de José Bové à Jacques Julliard.

Tout serait simple si ce grand imprécateur-prophète était dénué de talent. Mais il en a. Un talent transi, brûlant, authentique, qui prend sa démesure dans un projet philosophique qu'il expose page 324 et qu'il faut citer : « Devant nous le futur, immense, infini, plein de tous les possibles, de tous les devenirs qui fermentent depuis trop longtemps dans la cave sombre et humide de l'humanité, fermée à toute lumière. Avec nous, en nous, et non pas derrière, toute la vie accumulée dans les turbines de la littérature, toute la pensée qui a agi dans le passé, et qui donc continue d'agir, indéfiniment... Contre nous, le monde dans son entier ligué contre le surgissement critique de l'infinitude, contre la beauté souveraine et libre d'un acte de justice... »

... de saines colères

Outre le caractère paranoïaque de cette déclaration-manifeste, on découvre que Dantec se place en rupture devant une humanité quasi javellisée par une pensée dominante humanitaire qu'il récuse. Il agit et écrit comme une météorite qui tombe sur notre pensée actuelle pour l'écraser, l'émietter, l'anéantir. Sa véhémence - souvent haineuse - ressemble à celle d'un Claudel, qui disait dans son journal : « Avec le Mal, on ne compose pas. » Dantec se veut de la race des illuminés, des fondateurs, des prophètes. Il veut défroisser le monde et le faire sortir de son linceul étroit ; sa nouveauté, c'est qu'il le fait avec un énorme appétit pédagogique, nous parlant aussi bien de l'authentique foi chrétienne que de l'histoire de l'Occident, de la cosmobiologie évolutionniste, de l'appareil militaro-politique de l'Otan, ou tout simplement ce qu'il appelle les « crises parapsychotiques » qui lui attaquent le bulbe, lui qui ne dort pratiquement jamais et reste éveillé, avec 600 mg d'Effexor, devant son ordinateur, exactement comme le capitaine Nemo restait en plongée, dans son univers parano, pendant des semaines.

Souvent, il se décrit épuisé, découvrant les premières lueurs du jour sur Montréal, prenant un peu de valériane pour calmer son système nerveux.

Faut-il rire de cet écorché vif talentueux et inclassable en lui collant, comme dans beaucoup de journaux, l'étiquette pratique mais floue de « zozo fasciste » ? Ou bien faut-il prendre au sérieux ce chevalier à la cuirasse noire qui adore les scènes de carnages, les extases, et qui coupe et taille les têtes des intellectuels français sous le soleil de ce qu'il croit être, sinon son génie, du moins sa mission ?

J'avoue que je reste perplexe.

Il y a chez lui des haines suspectes, mais aussi des pages translucides sur ce qu'il juge comme un déclin actuel ; ou de saines colères contre, par exemple, l'affaire Virginie Despentes.

Notre écrivain surchauffé, tachycardique, qui se voit comme un aristocrate, a mis, avec ce journal, une lourde machine littéraire en branle. On hésite sans cesse entre jaillissement poétique et débinages loufoques d'un esprit en détresse. Ce qui est encore plus étonnant, c'est que, au fond, ses premiers livres, assez repérables, ne laissaient pas prévoir ce lyrisme forcené, imprécatoire, ce mélange de cabotinage et d'authenticité. Comme si ce Dantec avait franchi le Rubicon des convenances et, sans doute mû par une nostalgie d'ordre religieux, avait trouvé sa forme et son ton, et décidé d'être la mauvaise conscience et la hantise des lettres françaises.

Une sorte d'enfant d'Artaud a décidé d'allumer les sirènes d'alarme, de monter sur le toit de son loft et de hurler avec les obscures forces souterraines qui sont en train de parcourir le monde. Ce dernier étant en état de guerre permanente, au fond, Dantec nous en renvoie la fièvre -

Extraits
« La peine de mort devrait être une limite absolue, un sacrifice qui sanctionne un crime hors du (droit) commun.

Son abolition fut une lâcheté.

Sa banalisation est une folie »

(p. 35).

« Une pensée qui ne provoque pas de désastres ne mérite pas d'être écrite » (p. 116).

« Il faut donc qu'un métaroman se fasse jour, qu'une littérature considérée comme arme stratégique de la pensée, avec en corollaire une conception de la pensée comme ressource stratégique du langage, naisse de cette dévastation partout constatée » (p. 238).

« 7 heures du matin, Québec time.

Une nuit blanche absolue. Pure comme une autoroute lancée à travers les plaines » (p. 424).

« Le plus étrange, pour moi, si je me repenche sur le travail littéraire que j'ai accompli en une petite dizaine d'années, c'est de me rendre compte à quel point l'instinct de l'écrivain est aussi pur que celui d'un authentique tueur » (p. 480).

« J'aime beaucoup les zumains moi aussi ; en guise de petit déjeuner » (p. 573).

« Ne rien comprendre aux femmes, c'est se laisser une chance de pouvoir les aimer » (p. 609).


« Laboratoire de catastrophe générale - Le théâtre des opérations 2000-2001 », de Maurice G. Dantec (Gallimard/NRF, 756 pages, 22,50 e/147,59 F).


© le point 21/12/01 - N°1527 - Page 104 - 1285 mots
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