New York est un roman
par Pascale Frey
Lire, mars 2003
Pour en terminer une fois pour toutes avec les détails biographiques: Siri Hustvedt est la femme de Paul Auster depuis vingt ans et elle ressemble à une longue liane blonde plus top que tous les top models qui arpentent les podiums. Elle porte ce nom aux consonnances peu habituelles, parce qu'elle est née en Norvège il y a quarante-sept ans, avant d'émigrer aux Etats-Unis avec ses parents.
Est-ce un atout ou un handicap d'être l'épouse d'un romancier célèbre? Les deux probablement. Un atout, parce que les éditeurs, les critiques, les lecteurs s'intéressent à elle, curieux de la jauger et de la comparer à son mari. Un handicap aussi parce qu'il est difficile de se faire une place au soleil à l'ombre de l'autre. Non sans humour, Siri raconte que parfois, lors d'une séance de signatures ou d'une soirée, les fans seraient capables de la piétiner pour atteindre le grand homme!
Mais face à tout cela, elle reste zen: «Lorsque j'ai épousé Paul, il était inconnu. Sa Cité de verre avait été rejetée par dix-sept éditeurs, alors lorsque ça a marché, cela a été vraiment formidable pour nous deux. Et je dois reconnaître qu'il m'encourage beaucoup dans mon travail.»
Oublions maintenant son environnement familial pour se consacrer à la romancière et à son nouveau livre. Tout simplement un chef-d'œuvre, réussi de la première à la dernière ligne, évitant tous les écueils, toutes les facilités.
Une histoire ambitieuse d'amour et d'amitié, un récit qui explore la folie sous différentes formes et nous plonge dans le monde de l'art new-yorkais dont les protagonistes se permettent tout et n'importe quoi au nom de leur génie. Leo, critique d'art, a rencontré Bill, peintre, il y a vingt-cinq ans, parce qu'il a été profondément bouleversé par un autoportrait que celui-ci exposait dans une galerie de Soho. Avec Erica, sa femme, ils ont acheté le tableau, puis rencontré l'artiste et c'est ainsi qu'a débuté une longue complicité.
Folie à tous les étages. Tout au long des années qui vont suivre, les deux couples vivront côte à côte, dans une véritable intimité intellectuelle. Ils auront un fils chacun, Matt et Mark, qui s'aimeront eux aussi. Et cette amitié que décrit Siri Hustvedt, ces échanges sans jalousie (Leo est terriblement admiratif du travail de Bill et Bill a besoin de Leo pour progresser) est un des très beaux moments de ce roman.
Mais évidemment, la vie n'est pas un long fleuve tranquille et la folie les guette tous de près ou de loin. Parce que Violet d'abord, la femme de Bill, étudie les troubles du comportement alimentaire et que tout cela rejaillit sur leur existence à tous. Parce que cette folie, ils la vivent au quotidien à travers des membres de leur famille et ce milieu underground où le meurtre est parfois considéré comme une œuvre d'art.
Il est difficile de dire ce qui est le plus réussi dans ces quatre cent cinquante pages: les personnages, l'intrigue romanesque, l'analyse des sentiments, l'évolution des caractères ou tout ce qui touche à la peinture avec de sensibles descriptions de tableaux. Mais une chose est certaine, si la romancière continue dans cette lignée, on présentera bientôt Paul Auster comme le mari de Siri Hustvedt.