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 La Mémoire des conspirateurs

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LP de Savy
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MessageSujet: La Mémoire des conspirateurs   La Mémoire des conspirateurs Icon_minitimeMer 23 Nov 2005 - 23:29

La Mémoire des conspirateurs

de Michael André Bernstein

Elizabeth Gouslan
[17 novembre 2005] Le Figaro littéraire

Sur les traces de Joseph Roth, le subtil germaniste nous invite au grand bal des comploteurs, dans l'Empire austro-hongrois à la veille de la Seconde Guerre mondiale.
Vienne, début du siècle. Les élégantes relèvent en frissonnant leurs cols d'hermine. Les hommes entrent au Café Central et commandent virilement un moka. Au royaume du kitsch et de la sacher-torte, Sissi l'insouciante fait ses barres parallèles tandis que François Joseph se morfond au palais. Michael André Bernstein nous conduit au trot, à l'aide d'une phrase cadencée, charnue, charpentée, un brin bavaroise, vers des contrées monarchiques et surannées. On le laisse douillettement faire, réchauffé par ce roman-plaid idéal pour affronter l'hiver.


Las ! Rupture de ton. Soudain, l'air est glacial. Le héros a des soucis et Sissi ne peut plus rien pour lui : un psychopathe l'a poignardée à Genève, quatorze ans plus tôt. Alexandre Garber, dramaturge à succès, s'en remet à peine. Il aimait tant l'impératrice. Toute sa carrière, il peignit les Habsbourg en dynastie mélancolique et glorieuse. On prisait ses bluettes, ses farces bourgeoises, ses fables nostalgiques. Rien de caustique ou de subversif dans la prose de Garber. Il n'aurait pas survécu à la fin de l'Empire. Or, il continue à régner aimablement. Au Burgtheatre, on vient applaudir Le Juif infortuné ou le Casanova provincial, petites pièces consensuelles qui n'attisent jamais la haine et noient le conflit social dans un flou artistique. Est-ce parce que la cinquantaine approche ? Est-ce parce que Vienne exhibe parfois d'affreuses grimaces et que tout ne finit plus sur un pas de valse ? Toujours est-il que Garber est las de la comédie humaine et de sa propre pantomime. Monsieur l'écrivain sans-tâches va mettre les pieds dans le plat, se mêler de politique, faire l'idéologue et le détective. Trissotin devient justicier.


On lui a commandé, consécration suprême, d'établir ses oeuvres complètes. Pour achever ces Contes galiciens que les Autrichiens aiment tant, Garber va dévoiler une étrange conspiration qui eut lieu en 1912 à Brunnenberg, petite province viennoise. Exit le carton-pâte et les trompe-l'oeil. Nous ne sommes plus à l'opérette mais dans les méandres de l'idéologie, du meurtre et du fanatisme. Bernstein, l'auteur, prend alors congé de Garber, son narrateur dramaturge et plante son décor une dizaine d'années plus tôt. Parmi les protagonistes, il y a le redoutable comte gouverneur de la Galicie, Wiladowski. Cet aristocrate élevé aux théories de Machiavel craint tant pour sa vie qu'il s'est attaché les services de Jakob Tausk, un ancien talmudiste reconverti dans l'espionnage. C'est à lui que s'adresse d'ailleurs Moritz Rotenbourg, grand industriel juif, pour protéger son fils Hans, pur produit de la jeunesse dorée du temps. Avec ses condisciples de la noblesse, Hans fomente un complot contre l'Etat. Par désoeuvrement, ce séducteur entend former ses amis oisifs à la lutte de classes.


Les voici réunis en phalanstère, en apprentis terroristes, en marxistes de samovar. Au beau milieu de ce désordre très début de siècle, apparaît le rabbin Brugger. Famélique, mystique, inspiré, il incarne ce que la religion peut produire de pire : l'endoctrinement et l'asservissement de ces disciples qui organisent pillages et incendies au nom de leur nouveau messie. Qui va couvrir qui ? Qui va trahir et pourquoi ? Bernstein, professeur de littérature qui s'essaie ici avec maestria au roman, orchestre un extravagant thriller historique. On l'aura compris : c'est sur les traces de Joseph Roth que ce subtil germaniste nous entraîne. Les enjeux sont de taille. Il s'agit à la veille de la Seconde Guerre mondiale de comprendre comment se développait l'antisémitisme dans le décor austro-hongrois. En prime, on assiste à l'émergence de nouveaux docteurs de l'esprit qui font fureur à Vienne, on voit les jeunes filles de l'aristocratie en pleine crise d'émancipation (d'où l'utilité soudaine du divan et de la pensée freudienne), on saisit comment les artistes et les intellectuels prennent à ce moment précis de l'époque une importance capitale tout en intriguant les classes dominantes. Michael André Bernstein décrit avec une ironie féroce cette saga autrichienne de tous les périls. Il y ajoute une érudition surprenante, un suprême mépris des convenances, une ironie constante, le tout au service d'une ambition romanesque qui n'est pas sans rappeler celle de Robert Musil. En Galicie, Hans, Moritz, Jakob et les autres dansent leur dernière valse.
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