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 Hemingway et Fitzgerald

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LP de Savy
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MessageSujet: Hemingway et Fitzgerald   Hemingway et Fitzgerald Icon_minitimeLun 16 Jan 2006 - 0:17

Hemingway et Fitzgerald sur le ring de la réussite

[24 juillet 2003] Le Figaro

C'est une histoire assez triste mais assez inévitable, et dont la fin s'offre un retournement. Une histoire entre deux écrivains dont l'amitié fut mise à mal pour des raisons je dirais professionnelles, et aussi à cause d'une femme.

Cette femme était Zelda Fitzgerald et au début de l'histoire il faut se représenter le Paris des Américains entre 1920 et 1930. Dôme, Ritz et Contrescarpe. Scott Fitzgerald était célèbre quand il rencontra Ernest Hemingway qui ne l'était pas du tout. Hemingway occupait le poste envié de jeune écrivain prometteur mais il n'arrivait pas à placer ses nouvelles. Il avait gagné de l'argent comme journaliste et venait d'y renoncer pour avoir plus de temps pour écrire. Il vivait à Paris avec sa première femme Hadley quand il rencontra Scott Fitzgerald au Dingo Bar de la rue Delambre. Ce qu'il dit de cette rencontre dans Paris est une fête n'est pas vraiment à l'avantage de Fitzgerald dont on comprend que le principal problème est la boisson. Les Fitzgerald mènent la vie qu'il a racontée dans Vivre de rien qui succédait à 36 000 dollars par an. Ils dépensent plus d'argent qu'ils n'en ont, pensent-ils, à profusion, mais Hemingway trouva surtout que Zelda empêchait Scott d'écrire. Pour les Hemingway, Fitzgerald n'était pas un grand écrivain (ils ne prenaient pas son oeuvre au sérieux) mais tout de même, Fitzgerald avait de l'antériorité et du prestige. Dans les cafés, les hôtels où ils se retrouvaient, il faut imaginer leurs discussions, leurs lectures en commun, la fièvre qui les saisissait.


Ce fut une amitié entre écrivains et entre eux seuls, parce que Zelda continua d'horripiler Hemingway et qu'Hemingway déplut fortement à Zelda ; c'était physique. Sans doute aussi ne lui fit-il pas la cour. Ainsi l'amitié entre Hemingway et Fitzgerald fut-elle, dès le départ, menacée par l'extérieur mais ce n'est pas cela qui l'emporta.

Après un premier voyage à deux jusqu'à Lyon, déjà marqué par ce qui pouvait passer pour l'excentricité de Fitzgerald, ils se retrouvèrent à quatre sur la Côte d'Azur ; les deux couples. Hemingway changeait de femme (ce à quoi se refusait Scott) et se faisait de nouveaux amis dont les Murphy, auprès desquels il ne tarda pas à remplacer Fitzgerald. Puis Hemingway prit ses distances. Un jour, il ira jusqu'à refuser de donner son adresse à Fitzgerald, cela, dira-t-il, pour pouvoir travailler en paix.

Cependant Fitzgerald était emballé par ce qu'écrivait Hemingway. Il fit pression sur ses éditeurs et aida Hemingway à se faire publier, le conseillant dans la mise au point du manuscrit du Soleil se lève aussi au cours de leur séjour à Juan-les-Pins. À cette époque Fitzgerald restait le romancier de Gatsby et de son premier succès, L'Envers du paradis ; il vendait des nouvelles aux magazines ; il avait du métier et mit son savoir-faire au service d'Hemingway qui, le succès venu, renia cette collaboration. Fitzgerald était sincère dans son admiration pour Hemingway, et Hemingway pressé de prendre sa route ; déjà il blâmait la technique même de Fitzgerald, sa façon d'adapter ce qu'il écrivait aux caractéristiques des journaux qui l'employaient.


Leur différend éclata après qu'ils eurent poussé l'amitié littéraire assez loin pour que Scott expliquât qu'ils avaient inventé un système commun de fin du roman, système qui consistait à ne pas finir. Ce n'était pas très neuf. Stendhal l'avait fait avant eux avec Lucien Leuwen. Et d'autres après lui. C'était surtout Scott qui disait qu'ils l'avaient inventé ; dans Paris est une fête, récit qui date de 1964, Hemingway prit la nouveauté pour lui. Les écrivains ont des fiertés. Ils ont aussi tendance à penser qu'ils ont foré leur propre puits de pétrole.


Le succès de L'Adieu aux armes avait fait d'Ernest Hemingway un écrivain recherché (d'autant plus recherché, raconte Dorothy Parker, qu'il fuyait soigneusement New York et ses nouveaux admirateurs) quand les premières fissures publiques révélèrent que leur amitié allait être le jouet de leurs carrières respectives. Fitzgerald était souvent insupportable quand il avait bu (il buvait tout le temps) mais Hemingway avait appris à supporter cette idée tout en pensant que Fitz gâchait son talent, quand Gertrude Stein déclara qu'Hemingway était l'écrivain le plus talentueux de sa génération, la fameuse «génération perdue». Fitzgerald essayait d'achever Tendre est la nuit et confiait à Hemingway qu'en continuant à écrire du prêt-à-porter pour les magazines, il se sentait «une vieille putain.» «Oh merde !, répondit Hemingway, tu as plus de matériau que n'importe qui et tu t'inquiètes plus que n'importe qui et au nom du ciel contente-toi de continuer et d'aller jusqu'au bout maintenant et je t'en prie n'écris rien d'autre tant que ton livre n'est pas terminé. Il va être sacrément bon.» Après la sortie de Gertrude Stein, qui tombait à un sacré mauvais moment, Hemingway écrivit encore à Fitzgerald pour lui dire que toute comparaison entre eux était «pure connerie». «Il ne peut pas y avoir ce genre de chose entre des écrivains sérieux. Ils sont tous dans le même bateau.» Le problème était de savoir si Fitzgerald était un écrivain sérieux ; et selon Hemingway, Zelda l'en empêchait en le poussant à boire, au cours de ce dernier séjour à Paris en 1929. Là-dessus il y eut une querelle au sujet d'un match de boxe auquel avait participé Hemingway et dont Fitzgerald était l'arbitre ; les journaux américains s'en mêlèrent et il y eut un autre échange de lettres entre Fitzgerald et Hemingway ; le troisième dans la marche vers la destruction de leur amitié. Pourtant, quand on les lit, on est frappé par la générosité dont ils font preuve, chacun de son côté, et par le fait qu'ils se comprenaient si bien.


Le fond de l'affaire portait sur les personnages. Hemingway disait qu'il «donnerait n'importe quoi pour écrire une phrase qui fut vraie», et Fitzgerald croyait, comme Conrad, que «l'objet du romancier est de faire appel aux impressions qui demeureront dans l'esprit du lecteur quand celui-ci aura fermé le livre». Pour Hemingway, Fitzgerald avait tort d'emprunter ses personnages à la vie réelle et de les déformer. Il lui reprochait aussi de ne pas «oublier sa tragédie personnelle». Ensuite, Zelda réapparaissait : «De tous les gens sur terre ce qu'il te fallait à toi c'est de la discipline dans ton travail et au lieu de ça tu épouses quelqu'un qui est jaloux de ton travail, qui veut rivaliser avec toi et qui te démolit.» «Mais Scott», reprenait-il, ça n'était pas le plus important : «Les bons écrivains s'en sortent toujours.» Enfin, il concluait en disant que Fitzgerald était devenu bien meilleur que du temps de Gatsby, et qu'il croyait l'être après Gatsby et l'avait montré ouvertement. Autant nier que leur amitié s'était bâtie sur une admiration réciproque dès leur première rencontre. Autant avouer – et c'était un désaveu que cette lettre, tout à fait celle qu'un homme écrit à une femme au moment du divorce pour lui dire qu'en fait, il l'a épousée sans l'aimer – qu'elle était une amitié fondée sur la méfiance.


L'échec, relatif, de Tendre est la nuit, publié dans une Amérique en récession, poussa les deux hommes à s'écrire à nouveau tout en les confortant dans leurs théories. Hemingway avait immédiatement reconnu les Murphy dans les principaux personnages de Tendre et renouvelé ses critiques. Fitzgerald «ne pouvait inventer de vrais personnages car il ne connaît rien des gens». Ensuite, «de sa vie avec Zelda, de cette puérilité, ces malentendus, ces jérémiades sur la perte de la jeunesse, cette danse de la mort qu'ils ont traînée çà et là sur l'air de l'insanité, le gars est incapable de faire un beau livre, de faire un livre splendide». C'était le triomphe public de la force sur les sentiments et quand Scott lui écrivit pour s'étonner de ne pas avoir de réaction, un mois après lui avoir envoyé Tendre, Hemingway lui répondit par un cours sur la technique du roman. Il tutoyait Fitzgerald qui le voussoya sur six pages. Bien qu'il fût l'aîné, il disait l'admiration qu'il avait pour Ernest, précisait qu'il avait eu peur que son style l'influençât, et défendit sa façon de faire. La séparation devenait littéraire : «Montons sur le ring», écrivit Fitzgerald à son ancien protégé. Poids léger contre poids lourd ?


Tandis que la critique reprochait à Fitzgerald ses «héros démodés», Hemingway, en 1935, lui fit savoir qu'il aimerait le revoir et assortit cette suggestion de compliments sur Tendre «qui ne cesse de s'améliorer». Fitzgerald écrivit à Perkins, l'éditeur qu'il avait démarché pour Hemingway au temps des débuts à Paris, qu'il «aimerait bien le voir aussi. J'ai toujours pensé que mon amitié pour lui a été un des points culminants de ma vie. Mais je crois que de belles choses ont une fin du fait même de leur intensité, et que nous ne nous verrons plus guère. J'ai apprécié ce qu'il dit de mon livre». Il lui restait cinq ans à vivre, cinq ans qu'envenima une affaire typique des rapports entre écrivains. Approchant incontestablement sa chère vérité, Hemingway avait confessé qu'il avait toujours eu «un très stupide et très puéril sentiment de supériorité à l'égard de Scott – comme un petit garçon costaud se moquant d'un petit garçon délicat mais plein de talent» ; en 1936 parut un numéro d'Esquire où Fitzgerald continuait sa série de La Fêlure, modèle d'autodénigrement. Dans le même numéro figurait une nouvelle d'Hemingway, Les Neiges du Kilimandjaro, où on voyait Fitzgerald en personne, qualifié de «pauvre Fitzgerald». «Je vous en prie, épargnez-moi dans vos oeuvres», écrivit Fitzgerald, blessé jusqu'au stylo. Hemingway s'en prenait à ce qu'il avait dit des riches qui sont une des clefs de ses livres ; c'était tout leur vieux différend littéraire qui ressurgissait, sensible et vulnérable comme au premier jour. Hemingway riposta brutalement et Fitzgerald abandonna («Je m'étais mis à répliquer d'un ton si virulent que notre rencontre aurait pu être un duel à mort.»). Ensuite il dit à Perkins qu'Hemingway était un type malade et malheureux, «avec l'air d'un boxeur ivre aux prises avec lui-même comme dans un film». Ainsi les deux anciens amis en arrivaient-ils, leurs romans en pièces devant eux, au même constat l'un sur l'autre.


Il y eut une dernière rencontre après une dernière lettre où Hemingway invita Fitzgerald à la chasse aux canards. C'était à la projection de The Spanish Earth en 1937. Le lendemain Fitzgerald félicita Hemingway par télégramme et conclut le soir même dans son journal intime : «Je parle avec l'autorité de l'échec. Ernest avec l'autorité du succès. Nous ne pourrons plus jamais nous asseoir à la même table.»

La littérature avait eu raison d'eux. Ils n'auraient pas été amis sans elle ; mais elle ruina leur amitié. Bien longtemps après le suicide d'Hemingway, elle se chargea aussi de rétablir les comptes. Il y a toujours un moment où on lui présente la note, et elle l'acquitte. C'est Hemingway qui paraît démodé. Les personnages de Fitzgerald nous semblent tellement proches, et ceux d'Hemingway si théâtraux ; mais nous aimons toujours autant les nouvelles d'Ernest et les romans de Scott. S'il a pris aujourd'hui l'avantage sur son vainqueur, c'est en réparation du mal que lui fit leur rupture ; j'aimerais qu'on sache que les relations entre écrivains sont merveilleuses, tant qu'ils ne figurent pas dans la liste des Meilleures ventes du mois.
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