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 Kafka sur le rivage de Haruki Murakami

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MessageSujet: Kafka sur le rivage de Haruki Murakami   Kafka sur le rivage de Haruki Murakami Icon_minitimeMer 25 Jan 2006 - 17:25

Ainsi parlaient les chats

Les écrits d’Haruki Murakami ont la précision des rêves. Alors, l’extravagance et le merveilleux deviennent terriblement plausibles.


Un chat, ça ne dit pas bonjour. Ça ne papote pas sur le désir sexuel. Ça ne donne guère de conseils aux hommes, du genre : rien ne sert de s’agiter, de courir les chimères, mieux vaut chercher à savoir qui l’on est, soi. Un vieil homme simplet, analphabète, qui dit de lui « Nakata n’est pas seulement idiot. Il est vide. Nakata est comme une bibliothèque sans livres » mais qui se révèle plus sage qu’un érudit, ça n’existe pas. Et pourtant. Ces deux personnages improbables parmi d’autres – le matou qui cogite, stoïque, tout en se léchant les coussinets, le benêt errant devisant avec les chats sauvages – sont désormais parmi nous : dans le nouveau roman du Japonais Haruki Murakami. Kafka sur le rivage est la quête initiatique – extravagante et jubilatoire – de Tamura, un jeune garçon qui se fait appeler Kafka, « corbeau en tchèque ». Là s’arrête toute allusion au maître du labyrinthe littéraire. L’auteur laisse le lecteur libre de fantasmer à sa guise…

Chapitre après chapitre, Haruki Murakami échafaude deux destins – celui du vieux Nakata, qui parle de lui à la troisième personne ; celui du jeune Kafka, qui emploie, lui, « je ». Il les emmène au bout d’eux-mêmes, au bout de leur histoire… Chez lui, rien n’est impossible, surtout pas le merveilleux. Tout est plausible, comme naturel – imaginaire et réalité intimement liés. Il condense le temps, fait se rencontrer le passé et le présent. Il interroge les mythes, Œdipe et compagnie, l’amour, le sexe et la littérature dans un même élan, va de métaphore en loufoquerie, d’une pluie de maquereaux (!) sur la ville de Nakano à une dialectique sarcastique : « C’est une perte de temps de réfléchir quand on ne sait pas penser. » Il imagine une pierre aux pouvoirs mystérieux et une prostituée qui cite Bergson tout en cajolant son client. Manipulateur hors pair, Haruki Murakami fonce de l’étrange au rationnel avec un talent désarmant, fait de simplicité et de tendresse. Bienvenue dans ce roman en (très grande) forme de conte philosophique.

En une dizaine de livres traduits ici, nouvelles, essais, fictions (1), Haruki Murakami – à ne pas confondre avec son ami Ryû Mura-kami, écrivain sulfureux et provocateur (2) – a imposé un univers qui hait les frontières culturelles, se moque des ghettos littéraires – fantastique, polar, love story, suspense. Il s’est forgé une posture d’intellectuel, libre, au confluent de l’Extrême-Orient et de l’Occident. Nourri de cultures dissemblables, il est le plus occidental des auteurs nippons. Au Japon, cet écrivain-là est une star : ses livres se vendent par millions. Il est publié un peu partout dans le monde, fait rêver pas mal d’écrivains, français ou américains. Christian Garcin, Elwood Reid le tiennent pour un grand, le jalousent, presque… Né en 1949, Haruki Murakami appartient à la pop génération, celle de la contre-culture, de l’underground, du rock et de l’idéalisme révolutionnaire. Bercé par les Doors et les Beatles, abreuvé de Flaubert, Dostoïevski, Balzac, Tchekhov et de tragédie grecque, il a un temps tenu une boîte de jazz, a traduit en japonais le gratin de la littérature américaine : les deux Raymond, Chandler et Carver, Scott Fitzgerald, John Irving. A l’étroit dans sa culture – il affirme n’avoir presque pas lu Mishima ou Kawabata –, l’anticonformiste s’est exilé aux Etats-Unis, où il a enseigné dans de prestigieuses universités. En 1995, il revient au bercail après le tremblement de terre de Kobe et l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo : il n’a pas le mal du pays, ne désire qu’être parmi les siens, les entendre. Il écrit des nouvelles, Après le tremblement de terre, autant de voix en souffrance, d’échos recueillis après la catastrophe.

Haruki Murakami s’est construit un univers sans limites, aux confins de tous les possibles. Il s’est fait l’écrivain de l’audace et de la subtilité. Son écriture, presque diaphane, aussi sophistiquée que rieuse, plane sur ses obsessions : la dérive, la perte, la solitude. L’amour, par son absence cruelle, est le héros de son dernier roman, et Kafka-Tamura en est à la fois la victime et le prodigieux narrateur. Abandonné par sa mère, il n’a aucun souvenir d’elle. Le jour de ses 15 ans, il quitte son père, artiste et tyran, prend la route, échoue dans une bibliothèque merveilleuse tenue par une très attirante mademoiselle Saeki et par un androgyne éclairé qui va l’initier à tout… Kafka lit, nuit et jour (l’intégrale de Sôseki, Les Mille et Une Nuits), il cherche ses mots, attend une réponse. Qui suis-je ? Pourquoi ai-je été abandonné ? Suis-je condamné à mon destin ? Pendant ce temps, le charmant Nakata, celui qui parle aux chats, prend lui aussi la route, sous l’effet de quelque force obscure. Il rencontre un chauffeur routier. Jeune, sympa, et inculte. Auprès du simplet Nakata, l’inculte va s’ouvrir à la vie, se mettre à douter, à penser… En grand seigneur, Haruki Murakami manœuvre les ambiguïtés, les contraires, et déjoue toutes les apparences.

Par des chemins parallèles, tous les tendres farfelus de cette petite bande (Kafka, Nakata, le matou, le chauffeur routier, le bel androgyne, la bibliothécaire) vont affronter leur destinée, chercher et peut-être bien trouver « leur moitié perdue. C’est ce que dit Aristophane. Nous vivons des vies bancales. Nous passons la majeure partie de notre temps à rechercher notre moitié manquante ». L’amour, l’amitié, et des mots pour les vivre… L’auteur s’amuse à multiplier les pistes, les anecdotes, les aventures, les paraboles, et c’est pur plaisir : Haruki Murakami a le don de rendre intelligents ses lecteurs. Il fait dire à son apprenti Kafka : « J’ai refermé ce livre avec un sentiment bizarre. Je me demandais ce que l’auteur avait voulu dire exactement. Mais c’est justement ce “je ne sais pas ce que l’auteur a voulu dire exactement” qui m’a laissé la plus forte impression. »


Kafka sur le rivage, de Haruki Murakami, traduit du japonais par Corinne Atlan, éd. Belfond, 620 p., 23 €

Télérama 25 janvier 2006
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