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 Les romans de Paul Morand dans La Pléiade

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LP de Savy
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MessageSujet: Les romans de Paul Morand dans La Pléiade   Les romans de Paul Morand dans La Pléiade Icon_minitimeMar 9 Aoû 2005 - 20:02

Après les Nouvelles complètes (deux volumes, 1992), Michel Collomb a réuni huit romans de Paul Morand dans "La Pléiade" (1). Nous l'avons interrogé sur cet aspect de l'oeuvre.

Paul Morand fut un remarquable nouvelliste. Mais est-ce une raison suffisante pour discréditer le romancier, comme certains le font aujourd'hui ? Quelles sont les qualités principales de Morand romancier ?

Ce discrédit a commencé du vivant de Morand, les critiques admettant difficilement qu'il prétende exceller dans les deux genres. Mais, alors qu'il s'était rapidement imposé en tant que nouvelliste, Morand s'est toujours cherché comme romancier. Chacun de ses romans donne l'impression de reprendre le problème de zéro et de tenter une formule nouvelle. Au demeurant, leurs qualités ne sont pas différentes de celles qui firent le succès des nouvelles : la rapidité du regard, à la fois très aigu et très synthétique, le refus de toute niaiserie introspective, le traitement biaisé et constamment ironique de la psychologie, la phrase, tantôt surchargée d'informations, tantôt sèche et claquante, dont le rythme établit avec le lecteur une connivence très particulière. Les romans écrits après 1945 révèlent la même évolution que les nouvelles vers une réflexion plus approfondie et une langue simple, dépouillée de tout le clinquant des premières nouvelles.

Dans votre préface, vous évoquez les ambiguïtés de Morand à l'égard du roman. Comment avez-vous opéré le choix de ces huit romans et pourquoi avoir exclu Hécate et ses chiens, que vous qualifiez cependant de "court roman" ?

Morand, c'est évident, a eu du mal à trouver sa distance. Comme un coureur de demi-fond qui manquerait de compétiteurs, les longues distances, plus prestigieuses, l'ont terriblement tenté ! Plusieurs nouvelles ­ - "Flèche d'Orient", "Monsieur Zéro" ­ - avaient été à l'origine des projets de roman. Tais-toi , le dernier roman publié, est l'exemple inverse d'un récit dont l'auteur a découvert en l'écrivant la véritable dimension romanesque. Morand est un écrivain plutôt comptable de son temps et, de plus, impatient : il aime que ça aille vite. Seuls l'exil et la retraite forcée après 1945 lui ont donné le temps de se consacrer à des récits complexes exigeant un long travail de documentation : cela a donné Le Flagellant de Séville, un roman dont il se disait assez fier. C'est, en effet, un roman historique très exact, fortement structuré, dont l'un des mérites est de pouvoir être lu sur un double plan, car le récit de l'occupation française en Espagne, sous Napoléon, est enrichi de maintes allusions à la période de l'occupation allemande et à ce que Morand avait pu connaître de la collaboration.

Nous avons réuni dans ce volume les huit romans que Morand a publiés de son vivant, ainsi qu'un premier roman qu'il prétendait avoir détruit - ­ Les Extravagants, scènes de la vie de bohème cosmopolite -, écrit en 1910 et 1911. Quant à Hécate et ses chiens, souvent présenté comme un roman, c'est une nouvelle plus longue qu'à l'ordinaire, qu'on pourrait rapprocher de la novela à l'espagnole ou du romanzetto stendhalien. Le rythme haché et la dynamique brutale de ce récit, avec la pointe inattendue de son dénouement, l'apparentent au genre de la nouvelle. Morand l'ayant intégrée dans le recueil de ses Nouvelles du coeur, paru en 1965, je l'ai à mon tour introduit, à sa place chronologique, dans le tome II des Nouvelles complètes.

N'avez-vous pas le sentiment qu'au sortir de la seconde guerre mondiale, un déclic s'opère et que Morand, si secret, se dévoile de plus en plus, à travers Le Flagellant de Séville, puis Tais-toi, tous deux annonçant le très autobiographique Venises ?

Dans les premiers romans de Morand, les personnages sont rapidement esquissés et manquent un peu de corps et d'expérience humaine. Dans Lewis et Irène, par exemple, il est curieux de remarquer que Morand, qui n'avait pas été au front, dote Lewis des états de service de son ami Giraudoux, qui avait fait la campagne des Dardanelles. Ce sont ses déboires et ses désillusions après 1945 qui permettront à Morand de créer des personnages beaucoup plus denses et énigmatiques dans lesquels il mettra davantage de lui-même. C'est déjà vrai avec Montociel, dont les aventures très rocambolesques conservent aussi la trace du roman d'apprentissage ; c'est encore plus vrai avec don Luis, dans Le Flagellant de Séville : en imaginant le destin tragique de ce personnage complexe, l'auteur libère toute une fantasmagorie de la catastrophe, du châtiment et de la pénitence, qui l'a manifestement obsédé à cette époque, alors même qu'il y avait, pour sa part, échappé.

Le roman Tais-toi, qui raconte l'enquête entreprise par un neveu pour percer l'identité d'un oncle disparu, s'appuie à l'évidence sur l'expérience biographique de Morand et comporte des portraits codés. Pourtant, une fois encore, le désir de confidences n'est pas parvenu à l'emporter sur la pudeur et la rumination du secret. Il en résulte, pour le lecteur, une attente et une frustration qui sont peut-être à l'égal de celles de Morand lui-même.

Qu'en est-il de l'édition des poèmes, des récits de voyage, voire de la correspondance avec Chardonne ?

L'édition des Poèmes que Michel Décaudin avait fournie serait à reprendre en la complétant de divers textes retrouvés depuis et en l'accompagnant de notes, devenues indispensables pour leur compréhension. Les récits de voyages, ainsi qu'une grande partie des chroniques, ont fait l'objet de rééditions récentes. Réunir en un volume les portraits de ville, New York, Londres et Bucarest, montrerait comment est né un genre littéraire qui connaît de nos jours une floraison abondante. La publication intégrale de la correspondance que Paul Morand et Jacques Chardonne échangèrent entre 1952 et 1968 ­ - souvent à raison de plusieurs lettres par jour ­ - est impossible. Il semble qu'on envisage d'en publier un choix significatif, mais la peur de heurter les uns ou les autres risque de le vider de toute substance.

Paul Morand est aujourd'hui souvent mal reçu, notamment en raison de ses convictions de droite et antisémites. On l'a vu encore lors de la parution du Journal inutile...

L'accueil réservé au Journal inutile a été paradoxal : même les critiques qui se disaient horrifiés par les propos antisémites, misogynes et homophobes de Morand ont reconnu avoir été entièrement pris par la lecture de ces 1 700 pages ! Je ne suis pas de ceux qui excusent les erreurs ou les lâchetés de l'homme par la nouveauté de son écriture littéraire, mais je ne conseillerais pas d'apprécier l'importance des écrivains à l'aune de l'exigence morale ou à celle de la perspicacité politique. Morand raconte que Proust lui avait offert L'Histoire des juifs de Léon Halévy pour lui rappeler qu'il ne devait jamais devenir antisémite. Il l'a oublié plus d'une fois, mais peut-on citer un autre romancier français qui aurait osé présenter, en 1941, un personnage de juif aussi sympathique que Regencrantz, le médecin humaniste qui apparaît dans les premières pages de L'Homme pressé ? Le type de personnage sur lequel Morand revient dans presque tous ses romans n'est pas limité par une identité nationale ou raciale ; c'est surtout un monstre d'énergie, avide d'entreprendre, pressé de réussir. Une espèce de don Quichotte moderne qui éprouve peu à peu la résistance des choses, l'ironie des contretemps historiques et l'impossible aboutissement de son rêve égoïste. Alors que la nouvelle ne lui permettait pas un décor très élaboré, on découvrira dans ses romans des contextes historiques très précis, pour lesquels il a utilisé sa connaissance des coulisses diplomatiques. Mais c'est surtout la langue, ici plus diversifiée et plus polyphonique que dans les nouvelles, le swing toujours aussi frappant des phrases, l'humour des métaphores qui décideront si, oui ou non, on est fait pour aimer Morand.


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(1) Romans, de Paul Morand. Gallimard, "Bibliothèque de la Pléiade", 1 648 p., 55 € jusqu'au 31 août, puis 62,50 €.

Propos recueillis par Christine Rousseau
Article paru dans l'édition du 05.08.05 Le Monde
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