La Dernière Femme de Jean-Paul Enthovenn
Astrid de Larminat
[09 février 2006] Le Figaro littéraire
Homme de lettres et du monde, l'auteur des «Enfants de Saturne» a composé un panthéon de séductrices.
CERTAINS ÉCRIVAINS ont une muse. Jean-Paul Enthoven, lui, a un «harem mental». Neuf femmes le composent. En séducteur averti, l'auteur a pris soin de ne placer dans ce panthéon rêvé que des dames qui appartiennent au domaine public – Louise Brooks, Louise de Vilmorin, Marie Bonaparte, Françoise Dorléac, Zelda Fitzgerald, Laure, Nancy Cunard, Françoise Sagan – à l'exception d'une seule, la dernière, vivante et anonyme, qui donne son titre à l'ouvrage. Ces neuf-là, comme l'auteur s'en explique en introduction, résument «à elles seules, sur des registres distincts, tout le chaos de joies et de déconvenues qui encombraient (ses) relations avec les créatures bien réelles qui (l)'intriguaient dans la vraie vie».
Pour aller vite, on pourrait comparer sa démarche à ces enquêtes dont les magazines féminins sont friands et qui dressent une nomenclature des différents caractères de femme. Les lectrices pourront jouer à «qui est qui». Quant au lecteur mâle, Enthoven lui offre un précieux vade-mecum des relations avec l'autre sexe.
A cet exercice-là, Enthoven, homme de lettres et du monde, révèle une perspicacité et un style qui le rapprochent des moralistes français. Il décèle les véritables ressorts de l'action : «La plupart des êtres qui s'allongent sur un divan y guettent moins leur guérison, ou quelque autre bénéfice secondaire, que la preuve qu'ils n'étaient presque pour rien dans le mal qu'ils ont fait ou subi.» Il croque sur le vif, avec acuité et cruauté : «A Venise, Nancy Cunard décide d'assumer son allure d'oiseau. Un visage pointu. Des cheveux presque jaunes. Une conversation parsemée de coups de bec. Des gestes en saccades. Des trilles. Une façon bien à elle de picorer les humains comme autant de miettes.» Les écrivains qui n'ont pas de voix intérieure et cherchent à se connaître dans le regard des autres sont des observateurs hors pair.
Au-delà de leur différence, toutes ces femmes ont un air de famille. Avec Les Enfants de Saturne, la dizaine d'écrivains dont Enthoven avait fait une galerie de portraits dans le livre du même nom, elles forment la fraternité élective de l'auteur. Artistes dans l'âme, elles ont été «soucieuses d'incendier leur vie et d'en faire une oeuvre mémorable». Car pour plaire à ces messieurs, il faut, mesdames, prendre soin de votre tournure d'esprit et de corps ; en aucun cas être un écrivain majeur, une sainte ou une héroïne. Il n'y a que la forme qui compte. «J'avais toujours jugé les femmes, et même le reste de l'humanité, à la noblesse ou à l'ignominie des mains», conclut Enthoven dont la seule morale est une esthétique. «Sagan n'était pas certaine d'avoir de grandes choses à déclarer mais de cette insécurité elle tira une oeuvre», écrit-il. Retournons-lui le compliment. Du sentiment de sa vacuité et du «parfum fugitif» qui émane des femmes qui savent leur temps compté, il tire une oeuvre qui a la «tristesse légère» d'un Watteau.