Propos insignifiants
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 Tom Wolfe dans le Monde

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LP de Savy
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MessageSujet: Tom Wolfe dans le Monde   Tom Wolfe dans le Monde Icon_minitimeMer 29 Mar 2006 - 22:09

Tom Wolfe : "Mes maîtres s'appellent Zola et Balzac"

Son père était "agronomist" et dirigeait une revue bimensuelle consacrée à la terre, aux plantes et aux arbres. Le magazine s'appelait Southern Planter, publié à Richmond, en Virginie, dans ce Sud d'où il vient et dont il a conservé la caresse dans la voix, la courtoisie dans le geste, et l'ineffable distance souriante de ceux qui ont reçu, de leur histoire et de leurs ancêtres, la certitude que rien n'est certain.

Thomas Kennerly Wolfe a tout vu, tout entendu, tout répertorié, mais, lorsqu'il se souvient de cette époque, l'oeil bleu acier devient indulgent, sans pourtant rien perdre de son éclat - cette acuité avec laquelle, tel Fabre et les insectes, il dissèque depuis cinquante ans les moeurs de ces myriades de microcosmes qui composent l'énigme de la société américaine. Le septuagénaire best-seller, dont chaque roman éclabousse l'establishment new-yorkais bien-pensant, retrouve, à l'évocation des jours enfuis, le ton chantant du pays natal. Il revoit son père, penché sur les feuilles de papier quadrillé jaune, scribouillant des phrases du genre : "Comment utiliser le miel le plus suave pour la conservation des germes de blé." Deux semaines plus tard, les gribouillis paternels devenaient "de belles lettres en typo noir et blanc, quelque chose qui brillait, étonnant et clair. La magie du papier et de l'imprimé ! Alors j'ai proclamé à haute voix : "Plus tard, je serai écrivain."" Il avait 5 ans.

Il y a quelques années, dans sa maison de week-end à Southampton, Tom m'a montré une photo. On le voit, la lippe sceptique, la dégaine insolente, portant chapeau mou et imperméable. "Je voulais ressembler aux reporters du cinéma des années fin 1930 et 1940, j'avais cette vision romanesque de types perchés sur la terrasse du gratte-ciel de leur journal, dominant le monde avant de descendre pour en fouiller les entrailles, comme Walter Winchell, le phénoménal chroniqueur des faits divers de Broadway." Il travaillait pour le Springfield Union, à Springfield, Massachusetts. Il venait de quitter Yale University - cinq ans d'études supérieures.

A 27 ans, donc, après un court et éreintant job d'assistant camionneur, Tom Wolfe, que personne n'appelait Tom, mais TK (prononcez tiké), est engagé comme simple reporter. La photo date de cette période, fin des années 1950. "J'ai commencé par la rubrique nécrologique, puis j'ai tout fait. J'étais fasciné par le métier."

On reconnaît un homme, sur la photo, face à Tom. Visage encore frêle, mais, déjà, l'aura du leader, John F. Kennedy. Tout le monde spécule que le jeune sénateur sera candidat à la candidature pour la présidence des Etats-Unis, mais il ne s'est pas déclaré, alors on le suit de près. Tom réussit à s'immiscer dans un meeting au sein d'une manufacture d'armes en danger de fermeture. Pertes d'emploi, chômage, et par conséquent promesses électorales du sénateur, qui se laisse aller à une algarade à l'encontre des vieux crabes de Washington, "tous ces sénateurs, les mains enfouies dans des pots d'argent, et à qui on fera rendre gorge quand on aura pris le pouvoir". Quelqu'un s'approche de Kennedy :

"Vous savez qu'il y a un reporter dans la salle."

Silence. On découvre Tom, galure sur le crâne, immobile.

"Tout ce que j'ai dit est, bien entendu, "off the record"", assène Kennedy.

Tom élève la voix, poli et ferme :

"J'ai bien peur que ce ne le soit pas. Il y a trop de monde ici.

- Je vous retrouve dehors dans cinq minutes", lâche Kennedy.

Sur le trottoir, les deux hommes sont face à face. Kennedy : "Au fait, si vous publiez ce que j'ai dit, vous allez faire du tort à beaucoup de gens. Je suis sûr que votre patron n'aimerait pas ça. Tenez-vous-le pour dit."

Tom ne pipe mot, salue le futur président d'un petit coup de l'index sur le rebord du chapeau, rentre à la rédac, tape sa copie, et on publie le papier. Le lendemain, irruption furieuse de Larry O'Brien, homme à tout faire du clan Kennedy, membre à vie de l'"Irish Mafia" :

"On était d'accord que c'était off. Vous aviez donné votre accord. On vous le fera payer !

- Rien du tout, répond Tom. Vous mentez. J'ai rapporté ce que j'ai entendu, point à la ligne."

Avec le recul, quand on évalue l'épais opus journalistique et littéraire de Tom, on pourrait avancer que la photo - et son histoire - résume tout : le goût de la vérité ; l'exécration de ce qui est "correct" - politique, culturel, sexuel ; l'indépendance farouche ; le désir de provoquer, d'aller contre toute idéologie dominante, de décrire avec sel, saveur, humour les travers et idiosyncrasies de son temps. Mais en ayant respecté le dogme premier : l'enquête sur le terrain. Devenu romancier à part entière, Tom Wolfe n'a jamais abandonné sa pratique du chercheur, renifleur de tendances, collecteur avide des argots, accents, paradoxes et rites des univers au centre desquels il décide de plonger. Pilotes d'essai de la NASA, hippies hallucinés des sixties, milliardaires de l'immobilier d'Atlanta, gauche caviar "radicalchic" de Park Avenue, golden boys des années 1980 à Wall Street, à chaque fois, il faut d'abord avoir emmagasiné le vécu, l'observer, le raconter. Ensuite, la fiction, le délire verbal, l'obsession de ne pas lâcher le lecteur prennent le pouvoir. Une dominante : aller chercher des environnements précis, insolites, pour que, de cette particularité, ressorte une vérité universelle.

"J'admire Philippe Roth, j'aime bien Richard Price (Clockers) et Carl Hiassen. Ils partent explorer des univers clos et inconnus. Sinon, je ne lis pas les autres. C'est drôle, ici, à Paris, on s'étonne que j'ignore MacInerney, Easton Ellis, mais ce sont les auteurs d'un même livre : le "premier roman" typique, jeune et rapide, Manhattan. Et puis, après - sinon des redites, rien. Auster ? Connais pas. Mes maîtres s'appellent Zola et Balzac. Je ne suis pas satirique. J'informe. Je voudrais correspondre à la belle définition que Balzac donnait de lui-même : "secrétaire de la société"."

Il rit.

"Je vais te livrer un secret : j'ai eu d'autres sources d'inspiration. Un groupe d'écrivains soviétiques, ignorés de tous, ou presque, datant de la révolution de 1917, les frères Serapion. Ils racontaient cet événement énorme sous l'influence des symbolistes français, Mallarmé, Baudelaire. Je me suis intéressé à leurs maniérismes, et les ai développés : ellipses, exclamations, onomatopées, tirets, digressions, pour parvenir à ce que je rêve d'obtenir : un concert d'idées brisées. Ce qui se passe dans la tête, l'incessante fracture du flot de conscience.
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LP de Savy
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MessageSujet: Re: Tom Wolfe dans le Monde   Tom Wolfe dans le Monde Icon_minitimeMer 29 Mar 2006 - 22:11

(suite)

- Où as-tu déniché ces gens-là ?

- Dans les rayons de la bibliothèque de Yale. Quand j'avais 22 ans, j'y passais mes nuits, pendant que mes copains couraient les filles, l'alcool ou l'ascension obligée des échelles du statut social.

- Ça n'a pas changé ? C'est ça, Moi, Charlotte Simmons ?

- Ça a empiré. C'est la loi de l'entropie. Un campus est un cocon. Pendant quatre ans, les jeunes, débarrassés de la tutelle parentale, peuvent, en toute impunité, vivre la dernière grande récréation de leur existence. Les filles, grâce à la vertu du féminisme, ont fait le choix de se situer à leur niveau. Elles se bourrent la gueule comme eux, elles parlent le patois "fuck" avec délectation.

- Intraduisible, d'ailleurs, ce "fuck".

- Ah bon ? Si j'ai pu introduire un nouveau mot dans votre belle langue, ce sera une de mes gloires."

Pendant trois ans, Tom Wolfe traverse les Etats-Unis, en train, en avion, en voiture de location, il vit sur place, passe du temps chez l'habitant, assiste à des matches, des rallyes, il absorbe, comme l'éponge qu'évoquait Francis Scott Fitzgerald. Il bat la semelle, écoute les mômes, jusqu'à l'explosion de ce qu'il appelle leur "information compulsion".

"A un moment, afin de se faire valoir, les gens vont te livrer des détails d'une précision inouïe. Il faut rester silencieux, être modeste, c'est pas toi la star, c'est l'autre. C'est ainsi que j'ai procédé sur quatre grands campus, dans quatre régions différentes. Tout a tourné autour d'un axe : l'accès à un statut. Et comment un être peut renier sa propre éthique sous la pression anormale du milieu social dans lequel la vie l'a jeté. C'est Charlotte. J'éprouve de la tendresse pour elle. A son âge, j'avais quelques-uns de ses traits. Timide, naïf, élevé dans les valeurs du Sud. Mes deux tantes, des vieilles filles qui vivaient dans un bourg de 50 habitants, me disaient que j'étais génial. J'y ai cru. Je pressentais qu'il allait m'arriver de grandes choses."

Au bout de trois ans d'investigations, il arrive ceci : Thomas K. Wolfe s'installe face à son ordinateur. Fidèle à un ordre qu'un jour un chef d'infos lui avait donné : "Arrête-toi quand ça devient emmerdant", Tom se met à l'oeuvre, et, au grand désespoir de Sheila, son épouse, son ange gardien, déchire, détruit, réécrit, recommence, jusqu'à l'épuisement.

"Il y a, disait Flaubert, les écrivains qui biffent, et ceux qui en rajoutent. J'appartiens à la deuxième catégorie. Je suis un "rajouteur". Un rédac chef m'a fait, au New York Herald, le plus beau des compliments : "Just keep it coming.""

Vilipendé par les Mailer, les Updike, les brahmanes de la communauté littéraire de la côte Est, qui, pour l'ostraciser, disaient qu'il faisait du "journalisme" et non "de la littérature" - "Comme s'il y avait une différence !" -, Tom Wolfe a vécu, au New York Herald, au début des années 1960, dans un climat d'ébriété créatrice, la naissance de ce qu'on appela le "nouveau journalisme".

Il dit :

"On était immensément libres. On a cassé tous les codes. Truman Capote nous a aidés, avec son premier roman - non-roman, De sang-froid. Après, chacun a chanté sa chanson. J'ai trouvé ma musique. Je suis allé le plus loin possible, jusqu'à commencer un article en répétant cinquante fois le même mot : "Hernia" - le son que faisaient les croupiers de Las Vegas."

Il porte un de ses 32 costumes de flanelle blanche, coupé sur mesure par Vincent Nicolosi ("76 ans, mon âge !") - son tailleur situé au 501, Madison Avenue. Les chemises sont dues à Alex Kabbaz, façonnier à Amagansett. Il en possède 75, de toutes couleurs. Il a dessiné lui-même la forme de ses chaussures, qu'il appelle des "faux spats", avec le matériau blanc des guêtres marié au cuir noir et dont il a passé commande au seul artisan capable de répondre à ses exigences, Cleverley & Sons, à Londres. Les boutons de manchettes ? De l'émail bleu, serti de cuivre, avec des étoiles et une lune - achetés chez Tender Buttons, sur la 62e Rue, entre Lexington et la IIIe Avenue.

Il refuse qu'on l'enferme dans une case :

"Je ne cherche pas les définitions. S'il fallait en trouver une, ça ne me gênerait pas que l'on dise : il essaie d'exprimer le chaos de la vie et de la société en apportant une qualité documentaire, avec l'espoir de créer un effet tel que le lecteur en sera stupéfait."

Tom se concentre aujourd'hui sur son nouveau projet : une longue conférence, en mai prochain, à Washington, la "Jefferson Lecture", le rendez-vous culturel le plus prestigieux de l'année. Il a choisi le titre : "Human Beast".

"Bien évidemment, c'est un hommage à Zola. Je veux parler de ce qui motive les hommes. Par exemple : le mâle qui a décidé de se battre, et le mâle qui refuse de se battre. Tout ce qui suit n'est que l'ombre de cette dualité. Autre idée : la bête humaine est convaincue qu'elle connaît le sens de l'existence. Elle a peut-être trop lu Jean-Jacques Rousseau. Je vais aborder Freud. Après tout, c'est grâce à lui qu'en ce moment même des milliers d'orgasmes ont lieu dans les foyers bourgeois. Je veux raconter la bête humaine, et j'en ferai, sans doute, la matière de mon prochain roman."

Alors, sur le visage de l'écrivain, j'ai revu passer la promesse faite par un enfant, il y a longtemps, dans l'air parfumé du Sud, le pays où les voix sont douces et l'ambition illimitée.


Moi, Charlotte Simmons (I am Charlotte Simmons) de Tom Wolfe. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Bernard Cohen, éd. Robert Laffont, "Pavillons", 652 p., 24 €.


Philippe Labro

Article paru dans l'édition du 24.03.06 Le Monde
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MessageSujet: Re: Tom Wolfe dans le Monde   Tom Wolfe dans le Monde Icon_minitimeSam 1 Avr 2006 - 0:59

Sacré Tom, toujours vert!
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MessageSujet: Re: Tom Wolfe dans le Monde   Tom Wolfe dans le Monde Icon_minitimeDim 2 Avr 2006 - 22:19

Le magazine Transfuge de mars-avril propose un long entretien avec Tom Wolfe. J'en profite pour conseiller la lecture de ce magazine consacré à la littérature étrangère.
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MessageSujet: Re: Tom Wolfe dans le Monde   Tom Wolfe dans le Monde Icon_minitimeDim 16 Avr 2006 - 22:02

L’écrivain favori de George W. Bush

Tom Wolfe retourne à la fac

Avec son nouveau roman, « Moi, Charlotte Simmons », l'auteur naturaliste du « Bûcher des vanités » raconte la vie quotidienne dans une université américaine. Fabrice Pliskin l'a rencontré

Le Nouvel Observateur. - Votre roman se passe sur un campus universitaire. Pourquoi ?
Tom Wolfe. - J'avais commencé à entendre des histoires au début des années 1990 sur la vie dans les dortoirs mixtes des universités. J'avais lu une étude sociologique selon laquelle 40% des Américaines étaient, comme mon héroïne Charlotte, vierges au sortir du lycée. Le sujet m'intriguait : des garçons en pleine montée de sève et des jolies filles nubiles vivant ensemble. Un autre aspect m'intéressait. Aux Etats-Unis, la nouvelle éthique ne vient pas de l'Eglise, mais de l'université. Plus personne n'écoute l'ancien clergé. Mais on écoute, par exemple, le mouvement des femmes. Ce nouveau clergé a son langage. Pour lui, l'ennemi, ce n'est plus le « capitalisme ». Il n'utilise plus ce mot suranné. Ça, c'était le vieux marxisme. Il préfère parler de « complexe industriel militaire ». C'est plus cool.

N. O. - C'est ce que vous appelez ailleurs le « marxisme rococo ».
T. Wolfe. - Un marxisme chichiteux et euphémisé dont les deux incarnations sont les universitaires Judith Butler et Stanley Fish. Inspirés par la philosophie française, ils étudient la façon dont « la violence du pouvoir » façonne le langage. Un exemple extrême : ils déplorent que le mot « woman » soit constitué à 60% par le mot « man ». Ils ne diront pas un « waiter » (serveur), car le suffixe « er » est masculin, mais une « wait person ».

N. O. - En France, d'aucuns écrivent « auteure » pour désigner une femme écrivain.
T. Wolfe. - Aux Etats-Unis, cette orthographe sera considérée comme du sexisme.

N. O. - En France, il serait considéré comme sexiste d'écrire le mot autrement. En bon romancier naturaliste, vous avez exploré douze universités.
T. Wolfe. - J'ai passé plus d'un mois dans quatre d'entre elles : Stanford en Californie, les universités du Michigan, de Caroline du Nord et de Floride. J'en ai tiré ce campus imaginaire en Pennsylvanie : la Dupont University. Je glanais des histoires, celle-ci par exemple : une nuit, les étudiants gays de l'université du Michigan écrivent sur le trottoir du campus des slogans détaillant leurs actes sexuels : « Tous fiers de se faire défoncer la chocolatière... », etc. En découvrant ces graffitis, l'administration de l'université a cru qu'il s'agissait d'attaques anti-gays. Ils ont passé le reste de la nuit à rassembler les bonnes volontés pour effacer toutes ces marques. La moitié de l'université a manifesté pour dénoncer cette entorse à la liberté d'expression.

N. O. - Portiez-vous votre fameux costume blanc pendant vos recherches ?
T. Wolfe. - Non, je portais un blazer bleu marine. Au reste, la plupart des étudiants ne me connaissaient pas. Une leçon d'humilité. J'étais l'homme venu de Mars. J'avais cinquante ans de plus que mes interlocuteurs. Les femmes, surtout, avaient à coeur de se raconter. J'étais neutre. Je n'étais ni leur professeur, ni leur parent et j'étais trop vieux pour travailler à la brigade des stupéfiants. Aux Etats-Unis, il est interdit de boire de l'alcool si vous avez moins de 21 ans.

N. O. - Quoi de neuf sur les campus depuis vos études à l'université de Washington and Lee, en Virginie ?
T. Wolfe. - Les filles et les garçons. La critique Camille Paglia a dit : si vous laissez une jeune femme se promener dans cette vallée de testostérone, vous risquez l'explosion. Camille Paglia est un peu notre Bernard-Henri Lévy : elle est pittoresque. Entre parenthèses, je n'oublierai jamais la conférence que Bernard-Henri Lévy donna à l'université de New York, il y a une quinzaine d'années. Il fumait des cigarettes, les plus extra-longues que j'ai jamais vues de ma vie. La cendre se faisait de plus en plus longue. Il ne la faisait jamais tomber. Le public était subjugué : l'orateur va-t-il se brûler les lèvres ?

N. O. - Quelques définitions. Qu'est-ce qu'un « dorceste » ?
T. Wolfe. - Ce mot est un composé d'inceste et de dortoir. Le « dorceste », c'est la liaison d'une fille et d'un garçon d'un même dortoir. C'est considéré comme quelque chose de non cool.

N. O. - Qu'est-ce qu'un « sexil » ?
T. Wolfe . - La personne avec qui vous partagez votre chambre vous exile pour avoir des relations sexuelles avec quelqu'un.

N. O. - Vous décrivez la domination du sport dans l'université américaine, où les basketteurs sont des demi-dieux.
T. Wolfe. - Certaines universités sont devenues populaires et prestigieuses, seulement grâce à leur équipe de basket ou de football. L'université catholique de Georgetown, dans l'Etat de Washington, était inconnue au bataillon jusqu'au jour où elle a recruté Patrick Ewing, un basketteur de 2,13 mètres. L'équipe de l'université a gagné le championnat national et tout le monde a voulu s'inscrire à Georgetown, pour l'éducation prétendument.

N. O. - Ne seriez-vous pas obsédé par les muscles ? Dans « le Bûcher des vanités », vous parliez de cette nouvelle génération qui connaît mieux le nom scientifique des muscles du corps humain que les planètes du système solaire.
T. Wolfe. - J'ai une théorie. Au-delà des distinctions sociales, il est une séparation essentielle : les mâles qui se battent et les mâles qui ne se battent pas. Aujourd'hui, les vrais décisions dans la guerre sont prises par des hommes de 50 ou 60 ans. Il fut un temps où il était impossible de devenir le héros d'une nation sans être un guerrier. Si Colin Powell avait voulu se présenter, il serait peut-être devenu président, juste grâce à cette petite guerre de 1991, la guerre du Golfe.
N. O. - Votre personnage, Jojo, est un des deux seuls Blancs de l'équipe de basket.
T. Wolfe. - Il me plaît de renverser l'habituelle discrimination. Jojo est blanc et blond. Il se sent traiter injustement, car il n'est pas noir.

N. O. - Vous écrivez qu'à Dupont, « une injure raciste est pire qu'un meurtre avec préméditation ».
T. Wolfe. - C'est le politiquement correct. Si vous êtes un meurtrier, vous pouvez éveiller la pitié, car le déterminisme social vous a forcé à commettre un geste extrême. Mais une injure raciste est un péché irrémissible. Cela rappelle les principes de l'Eglise presbytérienne. Dans les universités américaines, vous trouvez peu de tensions raciales. La ségrégation est si vive. A la cantine, les Noirs sont d'un côté, les Asiatiques, ici, les Hispaniques, là. L'amélioration, c'est qu'il y a plus de respect pour tous. User du vieil argot racial est considéré comme un faux pas. En fait, je suis un des rares écrivains démocratiques, sinon démocrate. Je sors de New York et je parcours le pays...

N. O. -Contrairement à ceux que vous appelez les trois pantins (stooges), vos confrères Norman Mailer, John Updike et John Irving...
T. Wolfe. - Ils sont complètement à côté de la plaque. Ils vivent comme entre parenthèses... La plupart des votes démocrates se concentrent sur la côte Est et la côte Ouest. On les appelle les Etats bleus. Tout le centre du pays est républicain : ce sont les Etats rouges. J'appelle les Etats bleus, les parenthèses. Quant à la phrase elle-même, ce sont les Etats rouges.

N. O.- Selon le « New York Times », vous êtes l'écrivain favori de George W. Bush.
T. Wolfe. - J'ai dit publiquement que George Bush s'y connaissait mieux en littérature que le rédacteur en chef de la « New York Review of Books ». Le fait même qu'il aime mes livres prouve qu'il a bon goût.

N. O. - Votre héroïne, une ingénue, vient d'une petite ville de Caroline du Nord. Elle a lu « la Bête humaine » de Zola, mais n'a jamais lu « Cosmopolitan ». Est-ce réaliste ?
T. Wolfe. - « Cosmopolitan » coûte 4 dollars. Si votre père est au chômage, comme celui de Charlotte, c'est une somme. Sans compter que ce magazine est de la pure pornographie.

N. O. - On a parfois l'impression que Charlotte vient des années 1950. Ils n'ont pas MTV en Caroline du Nord ?
T. Wolfe. - Charlotte, comme beaucoup d'Américains, vient d'une famille très religieuse.

N. O. - Acheter un jean Diesel semble la première métastase de sa décadence.
T. Wolfe . - C'est le commencement de la fin pour elle.

N. O. - Vos étudiants semblent bien sages auprès de ceux de Bret Easton Ellis.
T. Wolfe. - Pas lu. Je suis trop occupé à lire Zola.

N. O. - Zola tenait son naturalisme de la théorie de l'hérédité de Prosper Lucas et de la science expérimentale de Claude Bernard. Charlotte suit des cours de neuroscience où il est question de la sociobiologie du zoologiste Edward O. Wilson que vous surnommez Darwin II.
T. Wolfe. - La génétique et la neurologie me fascinent. L'idée que le moi n'existe pas, que le libre arbitre n'est qu'une illusion est vertigineuse, même si je n'en tire pas de conclusion définitive.
N. O. - Qu'aimez-vous chez le romancier Zola ?
T. Wolfe. - La psychologie de ses héros est si moderne. Pensez au meurtrier compulsif de « la Bête humaine ». Les halles du « Ventre de Paris » ne sont-elles pas comparables aux abattoirs de Chicago du début du xxe siècle ? Avant « Au Bonheur des dames », qui eût cru qu'on pouvait faire un roman sur un grand magasin ? Cela me fait penser à ce mot de Sainte-Beuve : Balzac fait tellement de descriptions de meubles qu'il devrait ouvrir une boutique !

N. O. - Vous-même, quel genre de boutique ouvririez-vous ?
T. Wolfe. - Je me verrais bien concessionnaire automobiles. J'ai récemment customisé ma Cadillac Deville DTS de 2003. Elle était beige. J'ai fait repeindre la carrosserie en blanc et refaire tout l'habitacle. Les sièges sont en cuir blanc. Mais le bouquet, c'est le plancher couvert de suède blanc synthétique.

N. O. - Vous êtes plus coquet que le plus coquet des rappeurs.
T. Wolfe . - J'ai appris dans le « New York Times » que j'avais le même fournisseur auto que 50 Cent et Busta Rhymes.

N. O. - Vous avez dit que le grand roman américain n'est pas « Moby Dick » mais « Autant en emporte le vent » ?
T. Wolfe . - Pour moi, c'est une parfaite description de la guerre civile vue à travers les yeux d'une pas très intelligente fille de 16 ans.

N. O. - Selon vous, le roman est un genre appelé à s'anémier comme la poésie.
T. Wolfe. - Il fut un temps où la poésie épique était la forme suprême de la littérature. Ensuite, l'appel à la poésie a faibli avec l'avènement du roman. Lorsque l'Ecossais Walter Scott commence à écrire des romans pour payer la déco de son château, le genre romanesque est considéré comme un genre honteux. Scott a d'abord publié quelque 17 romans, sans mettre son nom dessus. Nous vivons à l'âge de la nonfiction. « De sang-froid » de Truman Capote est un roman de non-fiction. Même « l'Archipel du Goulag » de Soljenitsyne, est, selon son auteur, une « investigation littéraire ». Aux Etats-Unis, le roman est inoffensif. Les témoignages, les biographies dominent outrageusement. Je vous fiche mon billet que Benvenuto Cellini a bidonné la moitié de ses « Mémoires ».

N. O. - Pour finir, un mot sur ces onomatopées qui émaillent immanquablement vos romans.
T. Wolfe. - Je les entends, je les transcris. Plop ! Bang ! Whack ! Ziiip !


« Moi, Charlotte Simmons », par Tom Wolfe, traduit par Bernard Cohen, Robert Laffont, 660 p., 24 euros.

Fils d'un gentleman agronome rédacteur en chef de la revue « le Planteur sudiste », Tom Wolfe est né en 1930 à Richmond (Virginie). Inventeur et théoricien du « nouveau journalisme », il a écrit, entre autres, des romans de non-fiction comme « Acid Test » et des romans de fiction comme « le Bûcher des vanités ».

Par Fabrice Pliskin
Nouvel Observateur - 23/03/2006
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