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 Où finira le fleuve d'Angelo Rinaldi

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LP de Savy
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MessageSujet: Où finira le fleuve d'Angelo Rinaldi   Où finira le fleuve d'Angelo Rinaldi Icon_minitimeSam 15 Avr 2006 - 23:55

Angelo Rinaldi, un prince dans son île

Rédigeant d'une même encre noire brillanteses critiques littéraires et ses romans (« La maison des Atlantes », prix Femina 1971), Angelo Rinaldi, avec une magnificence italienne, revisite son passé d'enfant corse, de journaliste et d'homosexuel.

Jacques-Pierre Amette

Angelo Rinaldi avait déclaré, dans son discours de réception à l'Académie française, le jeudi 21 novembre 2002 : « Un roman n'est rien d'autre qu'une dépression nerveuse dominée par la syntaxe. » Il devait penser à Proust, le patron, qui s'était mis au lit tout habillé après la mort de sa mère. Flux et reflux des souvenirs, harassante cueillette dans les hauts fonds de la mémoire ; descente insondable, interminable, inachevable, vers l'enfance qui chatoie telle une clairière, promenade dans le corail des conversations d'amis disparus, des maisons vendues, des salons jetés dispersés dans des brocantes, des familles réduites à un caveau sur la colline. Sans oublier les hôtels de passe du baron de Charlus où ne survit qu'un concierge hors d'âge qui parle portugais...

Trois thèmes hantent le livre de Rinaldi : la Corse de sa jeunesse, lui, fils de paysans ; ensuite ses années d'apprentissage dans les journaux, notamment Nice-Matin (et ses bureaux oratoires où, désormais, on prie devant des écrans luminescents - désolé, plus de taches d'encre aux doigts) ; et enfin les maisons de rendez-vous pour hommes. Ici, à Londres, salle d'attente avec des odeurs de rose chimique. Mais, comme l'académicien est prosateur, il lui reste la syntaxe. Et quelle syntaxe ! Rinaldi a apporté à la critique littéraire plan-plan le ton de Saint-Simon pour nous entretenir des Verdurin et des Guermantes du milieu. Quant à ses romans - une petite douzaine comme des belons, depuis la très viscontienne « Loge du gouverneur » (1969), publiée par Nadeau, jusqu'à « La confession dans les collines », (1990), on voit l'Italie à travers, comme si c'était une vitre. Il y a du Lampedusa, du Salvatore Satta et du Pavese dans le palais rococo rinaldien.


La lanterne magique de la mémoire. « Où finira le fleuve » est un roman dépôt d'archives, une caisse d'épargne où l'on amasse les images et les scènes secrètes d'une vie qui s'incline comme la courbure de la terre. Le début est troublant. Souffles, bavardages, bruits de fond, politesses, gestes, paroles, sentiments, visages de hasard croisés dans la foule, moment assez charbonneux à Waterloo Station, sur le quai de l'Eurostar. Cela ressemble à un bain de vapeur aux thermes de Caracalla un jour de presse. Un jeune homme en manteau bleu, Peter, se rend en taxi dans une maison de rendez-vous. Il bavarde avec un Marocain sympa. Pareil à un client dans un salon de coiffure, Peter meuble son attente en se laissant entraîner par le fleuve du passé.

Etrange moment de chimie mentale. Peter se souvient d'un hebdo de l'avenue Carnot où il a longtemps livré, le soir, ses articles dessinés comme un herbier, articles, il faut dire, mêlés d'une admirable ciguë. Il y a toujours eu de la Brinvilliers dans ce jeune chroniqueur venu du maquis. Là, Rinaldi s'en donne à coeur joie : dans la lanterne magique de sa mémoire apparaît, selon un ordre hiérarchique strict, Sabatier, le patron de droit divin, au zézaiement inquiétant. Sabatier demande, comme souvent les rédacs chefs : « Etes-vous heureux dans votre nouveau service ? » Les débutants s'imaginent que c'est une question adressée à leur personne, alors que ce n'est que le cri du vitrier qui passe. Winter dirige la rubrique arts, « toujours en quête d'un auditoire dans les corridors ». Le Duigo aussi, provincial gouailleur, parle comme Carette dans « La règle du jeu ». Il y a aussi cet exquis journaliste qui ramasse les additions qui traînent sur les tables de restaurant pour gonfler ses notes de frais. Peter croise dans le couloir des voisines de bureau aux bras nus, un vieux « faitsdiversier » attaché à la bouteille de rouge qui tache et à la ponctuation Grand Siècle. Et cet anonyme qui vieillit derrière les dossiers rongés et tachés de la doc, dans sa soupente, rêvant encore au Front popu en corrigeant la copie aléatoire des jeunots. On s'amuse beaucoup dans les passages qui concernent la presse parisienne, époque Express. Mais les souvenirs de Nice-Matin sont troublants d'émotion tendre. Celui-là porte son métier comme une longue absence, comme une croisade et un sacerdoce. Prions pour lui. Sans oublier Madeleine, mais là, ne dévoilons pas le livre, qui est davantage tendresse que chagrin.

La moitié du roman est un fabuleux codicille à la « Monographie de la presse parisienne » d'Honoré de Balzac. Les vrais journalistes devraient revenir à cette source qui, pour une fois, n'est pas tenue secrète. Rinaldi nous fait cadeau d'un expresso serré, et du meilleur ! Je veux dire la vie dure, impatiente, sauvage, empoisonnée, sexuelle, souterraine, rapace des journalistes. Elle éclate en plein jour dans ce bouquin. Les dissonances crues et brutales, la vie ténébreuse et compliquée (comme celle d'un harem) des couloirs de journaux s'y découvrent comme les fresques de Pompéi : en plein soleil.

Ensuite, les scènes d'enfance en Corse. Elles brillent comme des tessons enchâssés dans la dure terre de Corse. Scènes d'enfance aussi entêtantes que de la bruyère posée sur un drap funèbre dans une maison de village. Rinaldi fait claquer le linge sale comme le linge propre. On étend tout aux fenêtres dans le clan Rinaldi. Une mère et une grand-mère rayonnent, remarquables. Il y a toujours de l'apparition et du miracle chez certains prosateurs venus de pays ultracatholiques. Dans certains coins de l'ouvrage, on croise les cabarets louches (sortis du film « Il bidone »). Un certain gris néoréaliste imprègne quelques chapitres. Délabrement de petit jour quand les échotiers et les traîne-patins des nuits d'insomnie finissent dans un rade au milieu des maçons qui partent au travail.


Rinaldi est notre Lampedusa. Avec ce livre, Angelo Rinaldi a publié son « Amarcord ». Somptueux et cinglant... Roman sarcophage. Bas-relief avec fissures. Les journalistes tournent aux pauvres gladiateurs. On sait que l'auteur, qui trôna sur un fauteuil de velours rouge très « vaticanesque », récemment, au Figaro, est désormais à flâner sur le trottoir en attente de mécène...

Ce qui frappe dans ce roman, c'est qu'il tremble des coups de pioche du fossoyeur : la Corse resplendit, mais à la manière d'une campagne morte, pourrissante, désolée, bête, gibier au soleil ; île stagnante dans une mémoire obsédante, lagune déserte, et la mer pas loin. Des voix d'outre-tombe chuchotent, étrangement maternelles. On achève le roman comme la visite d'un baptistère, trop tard, un soir, en Italie, quand le gardien - et sa veste graisseuse - s'impatiente. Cet effet funèbre est d'autant plus impressionnant que les personnages portent des bottines, des boutons de manchette, des gabardines, écoutent des carillons dans des magasins qui ressemblent à des merceries auvergnates. Même les hebdos modernes des Champs- Elysées, leurs coursives vibrantes de néon, deviennent des paquebots déserts où ne circulent que les fantômes des grands noms qui impressionnaient jadis le patron et le pigiste de base.

Et même la dame aux deux petits chiens de la place Saint-Sulpice est corrodée, ensablée, ébréchée, avalée par la poussière. Rinaldi est notre Lampedusa. Il ressemble au prince Salina qui voit venir les chemises rouges de Garibaldi dans les pentes sèches et odorantes de sa Sicile millénaire, le prince Salina, témoin souriant, désespéré, d'un monde qui disparaît. On se regarde dans cette prose comme dans un miroir. Le consentement aristocratique à la mort traverse le livre et le transfigure

« Où finira le fleuve », d'Angelo Rinaldi (Fayard, 400 p., 22 e).


© le point 13/04/06 - N°1752 - Page 94 - 1185 mots
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