La boulimie d'Amélie
par Marianne Payot
Sa réussite, Amélie Nothomb affirme qu'elle la doit à son insatiable appétit... de vie. Autobiographie vorace
On n'en attendait pas moins d'elle. A 36 ans, forte d'une douzaine de romans publiés - et célébrés - Amélie Nothomb, la plus excentrique des Belges, tombe le masque. A sa manière. Enlevée, méticuleuse, ironique, intelligente. Fil rouge de cette autobiographie singulière, clef du succès de la seule romancière francophone qui, bon an mal an, pulvérise les ventes: la faim, la sur-faim, dont Amélie est habitée depuis sa prime enfance.
Faim de tout: des sucreries, du Japon, de l'amour familial, de l'alcool de prune, d'eau, de la carte du monde, des livres, des mots... Jamais rassasiée, toujours en quête, la fille du consul décline, avec subtilité, ses années de formation, éclairant, au détour d'une phrase, d'une anecdote, de nombreux pans de son oeuvre. Le Sabotage amoureux, Stupeur et tremblements, Métaphysique des tubes, Robert des noms propres prennent ainsi du relief, de la chair, pour le plus grand plaisir de ses fidèles lecteurs.
Le Japon (mythifié), la Chine (crainte), New York (tourbillonnante), le Bangladesh (mourant), la Birmanie (incomprise), le Laos (soumis)... de 0 à 17 ans, Amélie vit au rythme des affectations de son diplomate de père. Un nomadisme culturel qui décuple sa curiosité et renforce sa précocité. A 4 ans, elle fait l'école buissonnière et finit les flûtes de champagne des invités; à 6 ans, elle connaît son globe terrestre par coeur et lit les contes des Mille et Une Nuits; à 8 ans, elle enflamme le coeur de dix petites filles du lycée français de New York et dévore Les Misérables; à 12 ans, elle est enivrée par une nouvelle de Colette et se fait violer dans les eaux du golfe du Bengale; à 13 ans, elle boit pour oublier qu'elle en a 13 et entame une longue anorexie («paroxysme de la faim»); à 15 ans, à défaut de mourir, elle s'alimente, ne quitte plus sa chambre et se convainc, à la lecture des Jeunes Filles de Montherlant, qu' «il faut tout devenir, sauf une femme».
Elle devint donc écrivain. A plein temps. Croquant les mots comme les barres de chocolat de son enfance. Avec la même voracité, la même boulimie. Mais au grand jour, dorénavant. La tête haute, sourire narquois aux lèvres.
L'Express, 30 août 2004