Semaine du jeudi 29 mai 2003 - n°2012 - Nouvel Observateur
Le coup de coeur de Jérôme Garcin
Polac-Rosset : droit de réponse
Avec leurs cheveux blancs, leurs besicles sur le nez, leur dégaine de clodos chics et leur bougonneuse misanthropie, Michel Polac et Clément Rosset ressemblent à Vladimir et Estragon attendant Godot sur une route de nuit. Désabusés, féroces, ils pratiquent un pessimisme gai, savent l’existence condamnée à l’absurde et jugent qu’il est parfaitement vain et nuisible de «se rebeller contre le tragique de la vie» (Rosset). De la pièce de Beckett, Anouilh disait: «Ce sont les "Pensées" de Pascal jouées par les Fratellini.» De la correspondance échangée, en 2002, entre l’auteur de «la Vie incertaine» et le philosophe du «Traité de l’idiotie», on pourrait dire que c’est du Schopenhauer tourné sur un air de fox-trot par Woody Allen. Le viré de la télé et le déçu de l’université professent des idées très sombres avec beaucoup de légèreté. Les deux compères tiennent d’ailleurs qu’une personne dénuée d’humour est une créature imparfaite. Il est ici question du réel, leur grande affaire; de l’ennui, qu’ils se flattent de n’avoir jamais connu; de leur bonheur amniotique de nager sous la mer et de taquiner le poisson; de la vieillesse (Polac a 73 ans et Rosset, 64); du Père Noël, dont ils n’ont jamais fait le deuil; de Don Quichotte, dont un aïeul de Clément Rosset fut le premier traducteur; de Kierkegaard et Nietzsche, qui les réunissent, de Voltaire et Gombrowicz, qui les opposent. Ceux qui ont lu le «Journal» de Michel Polac le retrouveront, fidèle à lui-même mais moins hypocondriaque que d’habitude. Et les adeptes de Clément Rosset le découvriront dans une intimité à laquelle il ne nous avait guère habitués: elle ajoute à l’estime qu’on porte au plus allègre de nos philosophes tragiques.
«Franchise postale», par Michel Polac et Clément Rosset, PUF, 196 p., 18 euros.
Jérôme Garcin