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 Amélie Nothomb : entretien avec Eric Neuhoff

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LP de Savy
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Amélie Nothomb : entretien avec Eric Neuhoff Empty
MessageSujet: Amélie Nothomb : entretien avec Eric Neuhoff   Amélie Nothomb : entretien avec Eric Neuhoff Icon_minitimeLun 16 Mai 2005 - 16:10

Un entretien d'Amélie Nothomb avec Eric Neuhoff

Amelie Nothomb : cette fois, tout est vrai

Septembre, le Nothomb nouveau est arrivé ! “Biographie de la faim” ou les vingt premières années de cette boulimique de la vie, de la lecture, de l’écriture... Bon appétit.

Madame Figaro du samedi 4 septembre 2004. Propos recueillis par Éric Neuhoff
[04 septembre 2004]

La rentrée, sans Amélie Nothomb, n’aurait pas le même air. Fidèle au poste, elle revient chaque automne avec un nouveau livre qui se hisse en tête des ventes. Elle est traduite dans trente-sept pays et son nouveau titre, “ Biographie de la faim ” (Albin Michel), est une autobiographie assumée, un éloge rigolard de l’appétit où elle évoque au galop sa jeunesse brinquebalée de pays étranger en pays étranger (Japon, Chine, État-Unis, Bangladesh, Birmanie). Dans le bureau que son éditeur lui prête pour qu’elle dépouille son vaste courrier, Amélie Nothomb, tout en noir, répond d’une voix rapide et posée, avec un usage très pertinent des adverbes. Rencontre avec un phénomène.

Éric Neuhoff. – Dites, vous n’en avez pas assez de publier tous les mois de septembre ?

Amélie Nothomb.
– Franchement, non. Je conçois que de l’extérieur ça puisse paraître terriblement rythmé, mais je vous assure que vécu de l’intérieur, c’est totalement chaotique et effrayant. Je suppose que si Albin Michel avait publié mon premier livre en janvier, j’aurais dit : toujours janvier. Il se trouve qu’il a publié “ Hygiène de l’assassin ” un 1er septembre. Je suis esclave de cette espèce de norme qui me calme. Ç’aurait été le 1er avril, j’aurais publié le 1er avril.

Éric Neuhoff. – Vous avez combien de manuscrits d’avance ?

Amélie Nothomb.
– Je viens de terminer le cinquante-deuxième, mais je vous rassure : je n’ai pas du tout l’intention de publier tout ça. Je n’en publie qu’à peine le quart.

Éric Neuhoff. – Quand vous terminez un manuscrit, vous savez s’il restera dans un tiroir ou pas ?

Amélie Nothomb.
- Non. Il faut qu’il soit terminé depuis deux semaines pour que je commence à avoir une vague idée de ce que c’est. J’ai alors une période de lucidité très courte qui dure environ quatre jours. J’ai intérêt à me faire une opinion en quatre jours parce que avant c’est trop tôt et que après ce sera trop tard. Voilà. C’est la méthode Ogino, il s’agit vraiment de tomber juste.

Éric Neuhoff. – Pour la première fois chez vous, il n’y a pas écrit “Roman” sur la couverture.

Amélie Nothomb.
- Bien observé. C’est la première fois que le pacte autobiographique est atteint à 100 %. On a peur de l’autobiographie aussi longtemps qu’on croit être obligé de dire toute la vérité. Cette fois, j’ai compris qu’on n’est pas forcé de dire toute la vérité, surtout pas. Mais par contre, tout est vrai.

Éric Neuhoff. – Pourquoi un livre sur la faim, dans tous les domaines d’ailleurs ?

Amélie Nothomb.
- Sans être plus nombriliste que n’importe qui, il m’arrive de songer à moi-même et si je devais me résumer à un seul mot, franchement, ça serait le mot “ faim ”, dans son sens le plus large. Toute petite, j’étais un peu comme l’oisillon qui est là le bec ouvert au nid. Ça m’a tracassée à l’adolescence. À l’adolescence, surtout quand on est une fille, c’est assez mal porté, la faim. On vous le fait comprendre. Enfant, je trouvais ça super. Maintenant, je me fais une raison. Je trouve que c’est plutôt bien d’avoir de l’appétit dans la vie.

Éric Neuhoff. – Quand on vous voit, on ne se dit pas : voilà une fille qui engloutit à longueur de journée.

Amélie Nothomb.
- Non, parce que je ne suis pas boulimique. J’ai faim, mais avoir faim ça ne veut pas dire manger tout le temps. Pour écrire, c’est parfait. On n’écrit jamais aussi bien, enfin bien je ne sais pas, on n’écrit jamais autant dans l’état qu’on désire que quand on crève de faim.

Éric Neuhoff. – Vous comparez le chocolat à une “ divinité ”.

Amélie Nothomb.
- Aaahhh, ça c’est une religion. Et j’espère bien que ce livre renouvellera le miracle de “ Métaphysique des tubes ”, où je célébrais le chocolat blanc. J’ai reçu des mètres cubes de chocolat blanc et je compte bien recommencer cette opération avec le noir.

Éric Neuhoff. – Alors, avec ce livre, vous allez recevoir une épicerie entière : champagne, whisky, alcool de prune...

Amélie Nothomb.
- Ça n’est pas bête, hein, de faire sa liste de courses en écrivant un livre ?

Éric Neuhoff. – Avec la lecture, vous étiez boulimique aussi, non ?

Amélie Nothomb.
- J’ai un de ces appétits dans ce domaine ! La lecture est venue bien avant l’écriture. Je ne conçois pas qu’il en soit autrement. Est-ce qu’on peut être écrivain si on n’a pas d’abord énormément lu ? De même, peut-on être cuisinier si on n’a pas beaucoup mangé ?

Éric Neuhoff. – Tout le monde pense que vous êtes belge, mais en fait vous n’avez pas mis les pieds en Belgique avant l’âge de dix-sept ans.

Amélie Nothomb.
- Belge, c’est une bonne nationalité par défaut. Quand on n’est rien, finalement, on est belge. En classe, quand j’étais petite, j’étais toujours la seule Belge, sans savoir ce que c’était, en fait. Je n’ai pas mis les pieds en Europe avant mes dix-sept ans. Mes parents pensaient que quand on a la chance de vivre en Birmanie ou en Chine, on n’allait pas passer ses vacances à Knokke-Le-Zoute.

Éric Neuhoff. – Quand vous êtes arrivée en Belgique, là, vous n’étiez pas belge pour les autres.

Amélie Nothomb.
- Je n’ai pas vraiment senti l’identification, mais j’ai fini par comprendre qu’il y avait deux, trois trucs qui pouvaient faire que je me sentais chez moi. La peinture flamande, par exemple. Ça me parle, alors que la peinture en soi ne me dit pas grand-chose.

Éric Neuhoff. – Dans le livre, on découvre que c’était votre sœur, le premier écrivain de la famille.

Amélie Nothomb.
- Oui. Elle a totalement arrêté à l’adolescence et a remplacé ça par la cuisine. C’est devenu un génie culinaire.

Éric Neuhoff. – Il a fallu qu’elle arrête pour que vous preniez le relais ?

Amélie Nothomb.
- Ça ne s’est pas fait tout de suite, mais c’est vrai, on pourrait penser qu’il y a eu passage de témoin. La passation d’écriture a eu lieu quand j’ai eu mon anorexie. Anorexique, je ne pouvais pas écrire parce que j’étais beaucoup trop faible. Quand je suis sortie de là, l’écriture est apparue. Peut-être que c’est l’écriture qui m’en a fait sortir.

Éric Neuhoff. – C’est à ce moment que vous avez décidé que vous seriez écrivain ?

Amélie Nothomb.
- Je n’ai jamais vraiment décidé. J’ai commencé à écrire à dix-sept ans pas du tout avec l’intention de devenir écrivain. On avait un tel culte de la littérature à la maison que c’était franchement inhibant. On se dit : je ne vais pas entrer dans ce temple, moi misérable vermisseau. Et puis moi, j’avais une vocation japonaise. Je m’étais toujours dit que j’irais vivre au Japon qui était mon pays. Je suis allée au Japon, ça a donné “ Stupeur et tremblements ”. Suite à cet épisode professionnel où je me suis retrouvée dame pipi dans une entreprise japonaise, je me suis dit : somme toute, est-ce que j’étais vraiment destinée à une carrière japonaise ? Ma vieille, qu’est-ce que tu sais faire d’autre ?

Éric Neuhoff. – Le côté dame pipi était peut-être plus ennuyeux que le côté japonais, non ?

Amélie Nothomb.
- Non, dame pipi, ça n’est pas ce que j’ai le plus détesté. Auparavant j’étais comptable et c’était pire : je ne comprenais même pas ce qu’on me demandait. En tant que dame pipi, au moins, je comprenais, ce qui était moins stressant.

Éric Neuhoff. – Vous dites que le japonais vous est revenu instinctivement quinze ans après.

Amélie Nothomb.
- Pas la langue économique, mais mon japonais d’enfant. De cinq à vingt et un ans, je n’ai pas parlé un mot de japonais. À vingt et un ans, je sentais des wagons de japonais qui revenaient dans ma tête.

Éric Neuhoff. – Donc, si on faisait une dissection de vous, vous seriez remplie de mots.

Amélie Nothomb.
– Oui. Je n’ai pas appris la langue de tous les pays où j’étais, souvent pour des raisons politiques, comme en Chine où on n’avait pas le droit d’apprendre le chinois, ou, pour des raisons économiques, au Bangladesh où il y avait un tel écart entre ces gens si pauvres et nous que c’était difficile d’avoir un dialogue. Finalement, il n’y a guère que le japonais. Et l’anglais, sans aucun doute.

Éric Neuhoff. – Petite, vous aviez commencé vos lectures par des choses assez costaudes, des atlas, la Bible...

Amélie Nothomb.
– J’avais déjà un gros appétit, mais ça ne pouvait pas être n’importe quoi. La Bible, ça n’est pas un hasard. Mes parents, qui avaient eu une éducation très religieuse, venaient de rejeter en bloc la religion, donc ce livre qu’ils avaient révéré avant ma naissance, ils se mettaient à en dire le plus grand mal. Du coup, ça le rendait très intéressant. Oh, mais ça ne m’a pas empêchée de lire Tintin. J’ai lu très avidement Tintin.

Éric Neuhoff. – Et Colette ?

Amélie Nothomb.
- Colette, ça a été un éblouissement. Elle m’a révélé le style. Quand j’ai eu douze ans, elle a eu ce mérite immense de me montrer que ce qu’il y avait de plus fou dans un texte, c’était la beauté.

Éric Neuhoff. – Chose étonnante, vous avez lu cent fois “ les Jeunes Filles ”, de Montherlant.

Amélie Nothomb.
- Oui, plus de cent fois. Et je continue à le relire énormément. Je l’ai lu à un âge où j’essayais d’imaginer ce que ça pouvait être, une femme, et c’est très traumatisant de lire ça. Je crois que ce livre a beaucoup contribué à ma paranoïa, ce qui est une position enrichissante pour un écrivain.

Éric Neuhoff. – Vous dévoriez aussi des dictionnaires.

Amélie Nothomb.
- Je les lisais en entier. À treize ans, j’avais ces idées : tu commences par la lettre A et tu termines avec zythum. J’étais mangée par ça. La lettre A était meilleure que les autres !

Éric Neuhoff. – Vous avez même retraduit “ l’Iliade ” et “ l’Odyssée ”.

Amélie Nothomb.
- Je sentais que j’étais en train de perdre mon cerveau, vu que je ne m’alimentais pas du tout. Il y a moyen d’entretenir ça comme un muscle. Je me suis dit : qu’est-ce qui serait un exercice à ma mesure ? Et comme mes points forts ont toujours été les langues mortes... À seize ans, je parlais latin. Maintenant, j’ai un peu oublié.

Éric Neuhoff. – Vous avez vraiment besoin d’écrire quatre heures par jour ?

Amélie Nothomb.
- C’est un minimum, qui peut être dépassé. Je n’ai jamais dépassé huit heures, cela dit. La seule chose qui peut m’en empêcher, c’est d’avoir 40 °C de fièvre.

Éric Neuhoff. – Que préférez-vous, lire ou écrire ?

Amélie Nothomb.
- Je différencie peu ces activités. L’une est infiniment plus fatigante que l’autre, mais c’est un peu la même excitation.

Éric Neuhoff. – Que faites-vous, quand vous ne lisez pas ou n’écrivez pas ?

Amélie Nothomb.
- Je vous rassure : je fais tout ce que les êtres humains font et je le fais en abondance.

Éric Neuhoff. – De quoi avez-vous besoin pour écrire ?

Amélie Nothomb.
- D’être enceinte. Et je le suis, heureusement, semble-t-il, beaucoup. Parfois, il ne faut vraiment pas grand-chose. Là, c’était d’avoir reçu ce catalogue d’art du Vanuatu. Pour “ Biographie de la faim ” il y a eu une certaine évidence. La première phrase vient toute seule, je la sens monter. Pour “ Métaphysique des tubes ”, je suis tombée enceinte par la première phrase et je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire. Je n’ai compris qu’au fur et à mesure.

Éric Neuhoff. – Comment savez-vous que le livre est fini ?

Amélie Nothomb.
- Ça, bizarrement, jamais d’hésitation. C’est pour ça que je prends la métaphore de la grossesse qui est un lieu commun mais qui convient parfaitement. Parce que quand le bébé est sorti, je me dis : tiens, bah le voilà. Il ne lui manque rien. Il est peut-être moche, il est peut-être raté, mais il est là.

Éric Neuhoff. – Et vous avez le “ baby blues ” ?

Amélie Nothomb.
- J’aurais certainement le “ baby blues ” si je n’étais pas déjà enceinte du suivant.

Éric Neuhoff. – Les mauvaises critiques, ça compte ?

Amélie Nothomb.
- Pas des masses. Ce qui m’a énormément aidée là-dedans, c’est d’avoir une grand-mère atroce, qui était méchante... La première fois qu’elle m’a vue, quand j’avais dix-sept ans, elle m’a dit : “ Eh bien, ma petite, j’espère que tu es intelligente parce que tu es tellement laide. ” Alors chaque fois que je lis une vacherie sur moi, je compare à ce que ma grand-mère me disait et je me dis : bof.

Éric Neuhoff. – Si ça n’avait pas marché, vous auriez continué à écrire autant ?

Amélie Nothomb.
- Ça fait plaisir d’avoir du succès, mais ça n’a rien changé à ma manière d’écrire. J’imagine que l’insuccès ne m’aurait pas davantage modifiée. On pourrait arrêter de me publier. Même dans ce cas-là, je continuerais. Avoir une ménopause littéraire, vraiment je ne le souhaite pas.

Éric Neuhoff. – Qu’est-ce que vous faites quand vous tombez sur quelqu’un en train de lire un de vos livres ?

Amélie Nothomb.
- Quand je vois ça, à la fois j’en éprouve une jouissance profonde et une gêne encore plus profonde, ce qui fait que je m’enfuis. Si c’est dans le métro, je change de wagon. En général, la personne ne s’aperçoit pas de ma présence, signe qu’elle est bien dans sa lecture. Ou alors que je suis méconnaissable, ce qui n’est pas mal non plus.
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