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 Les guerres de Fred Vargas

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LP de Savy
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Les guerres de Fred Vargas Empty
MessageSujet: Les guerres de Fred Vargas   Les guerres de Fred Vargas Icon_minitimeLun 26 Juin 2006 - 12:32

Les guerres de Fred Vargas

Chacun de ses romans policiers fait un tabac. Mais Fred Vargas est aussi un auteur engagé et l'une des spécialistes mondiales de la peste. De l'affaire Battisti à la grippe aviaire, elle mène ses combats avec obstination. Rencontre.

Albert Sebag

Montparnasse écrasé par une chaleur accablante. Pour un peu, on irait se réfugier au cimetière, à l'ombre d'un cyprès. Finalement, entre deux billards américains et une serveuse qui n'a de yankee que son accoutrement, on se cale au frais sous un écran plasma qui diffuse un match de foot. Pas une fois le regard ne sera attiré par les corps bariolés du Mondial. Car, sous l'écran, s'est glissée une autre championne, Fred Vargas, la seule en France qui est parvenue à détrôner Mary Higgins Clark de son rang de reine du polar. Celle qui refuse toutes les émissions de télé et de radio, celle que vous n'apercevrez jamais dans un magazine people pour une fois n'a pas dit « niet ». Immédiatement, on est gagné par le mystère qui se dégage de son regard : des yeux noisette d'une douceur infinie et d'une intensité qui traduit une détermination sans faille. Si Fred Vargas a accepté volontiers cet entretien, c'est qu'elle s'est lancée de toute son âme dans deux batailles qui sont, à son sens, des « exemples magnifiques de désinformation ». Ainsi, pendant presque quatre heures, sera-t-elle intarissable sur l'affaire Battisti et la grippe aviaire. Mais faisons mieux connaissance.

Née à Paris, Frédérique Audoin-Rouzeau a une quarantaine d'années. Elle est la jumelle de Jo, une artiste peintre de talent, sa confidente, sa première lectrice. De leur passion commune pour les films de l'âge d'or hollywoodien est né le pseudonyme Vargas, emprunté à Ava Gardner dans « La comtesse aux pieds nus ». Ne pas oublier le frère aîné de deux ans, Stéphane, dont les travaux d'historien sur la Première Guerre mondiale font autorité. Ne pas oublier non plus son frère de coeur, l'écrivain Marc Dugain, auteur de « La chambre des officiers » et de « La malédiction d'Edgar », deux best-sellers de grande qualité. Fred et Marc ont été élevés ensemble. Inséparables, quand ils étaient éloignés l'un de l'autre une seule journée, ils s'écrivaient. Ainsi Fred raconte-t-elle qu'ils ont dû « échanger environ trois mille à quatre mille lettres ». Leur osmose est l'aboutissement d'une vraie alchimie : ils sont nés sous le signe des Gémeaux et leurs mères furent d'excellentes chimistes.

Pour Fred, donc, une mère maniant l'éprouvette et un père dont la stature imposante marquera pour toujours son esprit. Imaginez une sorte de Pic de La Mirandole perdu dans le monde des assurances. « Il a toute sa vie sacralisé la littérature. Il connaissait par coeur Nerval et avait une passion pour le surréalisme ». Cela crée parfois des vocations... Pourtant, adolescente, Fred ne pense pas une seconde à embrasser la carrière d'écrivain. Les carrières, elle les fouillera en tant qu'archéozoologue, un nom barbare pour désigner ceux qui analysent les ossements animaux anciens. Fred explique que c'est un peu « faire les poubelles de l'Histoire ». Aussi intègre-t-elle, dès 1988, le CNRS. Trois ans plus tôt, son existence a connu une révolution copernicienne. Elle a un point en commun - le seul, n'exagérons rien - avec Valéry Giscard d'Estaing : elle joue de l'accordéon. « Mais au bout de neuf, dix ans, j'ai renoncé. J'étais trop nulle ! » Qu'elle se rassure, VGE aussi. Un jour, elle se rue au supermarché. « J'ai juste acheté un cahier et un stylo. J'étais décidée à écrire un polar. » Quelques semaines plus tard, le cahier-citrouille s'est changé en manuscrit-carrosse. Tremblante, elle se demande ce que va bien en penser son père. Emporté par la maladie, il disparaît sans avoir parcouru « Les jeux de l'amour et de la mort », le seul roman que Fred renie. Un livre qui obtient néanmoins le prix du Roman policier au Festival de Cognac et une publication aux éditions du Masque.

Par la suite, après avoir essuyé plusieurs refus, Baudoin, un ami dessinateur, la présente à l'éditrice Viviane Hamy. Quelques mois après, elle publie « Debout les morts » (1995), qui marque les débuts de ses enquêteurs, les trois évangélistes. Succès d'estime. Suivent en 1996 « L'homme aux cercles bleus » et « Un peu plus loin sur la droite », qui dépassent les 3 000 exemplaires. « Sans feu ni lieu » confirme la courbe : 18 000 exemplaires en 1997. Mais, en 1999, avec « L'homme à l'envers », Fred Vargas connaît son premier triomphe : 50 000 ventes. Viviane Hamy, sur le point de fermer boutique, exulte. Elle téléphone à Fred : « Je suis sauvée. J'ai remboursé toutes mes dettes. » Les prix pleuvent sur Vargas et, en 2002, arrive la consécration avec « Pars vite et reviens tard » - un titre incroyablement prémonitoire si l'on songe à Cesare Battisti. Un faramineux succès en librairie : 330 000 exemplaires en édition courante et l'adaptation au cinéma (sortie février 2007) par Régis Wargnier avec José Garcia dans le rôle de son héros fétiche, le très subtil patron de la Crim' Jean-Baptiste Adamsberg. Le réalisateur d'« Indochine » dit de Vargas qu'elle est « une des rares per-sonnes qui ne se placent pas dans la séduction. Avec elle, on ne joue pas. » En 2004, « Sous les vents de Neptune » dépasse les 240 000 exemplaires. L'année passée - sans publier de « rompol » -, simplement avec les poche et en club, Fred Vargas a vendu plus de 500 000 exemplaires. Et, à la fin de 2006, grâce au petit dernier, « Dans les bois éternels », elle fêtera son deux millionième exemplaire, toutes éditions confondues. Son secret ? Pour Dugain, il tient en quelques phrases : « Elle a créé un univers à elle. Fred a une culture énorme qu'elle sait utiliser. C'est une musicienne qui est capable de tout jouer. Une espèce de virtuose... » Ses « rompols », elle les conçoit « en rêvassant tous les soirs ». Puis, en trois ou quatre semaines, à raison de quinze heures de travail quotidien, elle martyrise son ordinateur. Il ne lui reste plus qu'à ciseler. « Et là, dit-elle, je suis impitoyable. »

Mais son existence ne se résume pas à celle d'un auteur exigeant abonné au succès. Avec l'affaire Battisti, elle est en train d'écrire l'un des plus importants chapitres de sa vie. Il serait trop long de rappeler les détails de ce dossier ultra-complexe où justice et politique sont mêlées. Rappelons que Battisti, romancier et ancien militant de l'extrême gauche italienne, est en fuite depuis juillet 2004 après que la cour d'appel a rendu un arrêt favorable à son extradition vers l'Italie. Or il a été condamné par contumace pour sa participation à quatre homicides commis à la fin des années 70 de l'autre côté des Alpes. La loi italienne est formelle : Battisti n'a pas à être rejugé. Condamné, il doit purger une peine de perpétuité. « Merde, Vargas, je n'ai pas tué, je n'irai pas en prison. » Cette phrase de Battisti résonne dans la tête de Fred Vargas depuis plus de deux ans. « Je suis d'une gauche errante et je suis contre la lutte armée et tout ce genre de conneries. Mais cette affaire est un déni de droit, explique-t-elle en martelant les mots. Battisti a été accusé par Muti, un repenti, qui a passé son temps à se contredire et qui a disparu de la circulation. De plus, trois anciennes lettres prétendument échangées entre Cesare et ses avocats ont pesé très lourd pour décider de son extradition. Or les experts graphologues ont démontré qu'il s'agit de trois faux grossiers. Mais, coupable ou innocent, Battisti a le droit à un nouveau procès équitable. »

Au début, Vargas s'est sentie bien seule, mais il en faut plus pour l'arrêter. Même des menaces de mort d'un groupuscule d'extrême droite s'en prenant à son fils n'ont pas entamé son combat. Elle est allée frapper à la porte de bien des responsables politiques. Et a été épouvantée par l'attitude de certains caciques du PS. Chez les socialistes, elle a pu tout de même compter sur le soutien de Jacques Bravo, le maire du 9e arrondissement, qu'elle appelle « Jacques le Juste ». Egalement sur deux hommes qui se sont ralliés à son panache blond. Le premier, Bernard-Henri Lévy, qui est à ses côtés depuis le début et qui a préfacé « Ma cavale » (Grasset/Rivages), le récit de Battisti, dont Vargas a signé la postface. BHL est très clair : « Cette affaire est pour moi, comme toujours, une question de principe. Mais je ne me serais peut-être pas investi de la même façon si Fred Vargas ne m'avait pas mis en lumière un certain nombre d'éléments. Elle a une ferveur et une générosité communicatives. Pour ceux qui la traitent de pasionaria, c'est une manière de se débarrasser du problème. »

Autre soutien de taille, François Bayrou. A l'automne 2004, ses déclarations provoquent un petit tremblement de terre dans le monde politique. Vargas est venue lui expliquer le fond du dossier. Le président de l'UDF est catégorique : s'il avait été au gouvernement, il aurait eu une discussion avec l'Etat italien et aurait demandé que l'extradition s'accompagne d'un nouveau procès en présence de l'intéressé. Aujourd'hui, Bayrou n'a pas varié d'un iota : « Dans un procès, le premier des droits, c'est qu'il puisse être contradictoire. En France, ce principe ne souffre aucune exception depuis plus de trois siècles, explique-t-il avec solennité. Je n'ai aucune indulgence pour le terrorisme, mais Battisti doit être rejugé en sa présence, un point c'est tout. » Bayrou ne tarit pas d'éloges sur Vargas : « J'ai beaucoup d'estime pour la femme et l'écrivain. C'est une combattante. Et une fille bien... » Le lecteur ne sera pas surpris d'apprendre que, dans l'entrée de sa demeure, Vargas a affiché l'original de la une de L'Aurore reproduisant le « J'accuse » de Zola. On est encore loin de l'affaire Dreyfus mais, citant une phrase de Battisti, elle écrivait en janvier dans La Règle du jeu, la revue de BHL : « La vérité est transparente comme une goutte d'eau sur un fil. Un jour, elle reviendra. »

Seconde croisade de Vargas : la grippe aviaire. Ses travaux l'ont conduite à devenir une des spécialistes mondiales de la peste. Sa compétence sur le dossier du virus H5N1 ne fait aucun doute. Elle commence alors à griffonner une dizaine de croquis et de schémas. En moins d'une heure, nous apprendrons que, primo, les deux types de masques dont la France s'équipe, même s'ils protègent à 92 ou 98 % de la grippe aviaire, sont « une vraie foutaise ». Car nos stocks sont trop limités. La « durée de vie » d'un masque est d'environ quatre heures. Il en faudrait des milliards et non pas quelques centaines de millions. De plus, ces masques sont destinés avant tout au corps soignant et aux militaires. Deusio, en cas de mutation du virus, de contamination interhumaine et donc de pandémie, tous les spécialistes s'accordent à dire que la France seule comptera 14 millions de malades. 12,5 millions pourront, avec beaucoup de précautions, être soignés à domicile et 1,5 million - les plus touchés - à l'hôpital. « On ne pourrait actuellement accueillir que 200 000 malades en milieu hospitalier »,explique tristement Fred Vargas. Pas besoin de vous faire un dessin... Tertio, et c'est le point le plus angoissant, elle a trop bien étudié la peste pour ignorer qu'en cas de pandémie on assiste à un « délitement social, à une panique comportementale où l'on cesse d'aimer l'autre pour en avoir peur ».

Alors, depuis neuf mois, elle s'est mis en tête de concevoir une tenue qui protégerait la totalité du corps. Une cape antigrippe aviaire en plastique qu'elle est allée présenter au début du mois à Xavier Bertrand, le ministre de la Santé, qui l'a, on l'espère, « écoutée avec attention ». Une cape sur laquelle elle ne touchera bien sûr pas le moindre centime et dont la fabrication ne doit pas coûter plus de 1 euro, pour que tout le monde en profite, Afrique et Asie comprises. Les sceptiques souriront. Fred Vargas raconte qu'elle a appris à affronter « toutes les formes de moquerie et d'obscurantisme ». Le mois dernier, cinq personnes d'une même famille sont mortes des suites de la contamination par le virus H5N1. Il pourrait s'agir du premier cas de contamination interhumaine. Alors, imperturbable, comme son commissaire Adamsberg, Fred Vargas va continuer son chemin. Sur l'avenue du Maine, elle est déjà loin. Elle est en marche, et rien ne l'arrêtera


© le point 22/06/06 - N°1762 - Page 92 - 2034 mots
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