Quand on écrit, on est à la frontière entre cohérence et folie ?
"Quand j'écris, je sens physiquement l'endroit précis où se situe la frontière, et je vois dans quel marécage sinistre je sombrerais si je me laissais glisser de l'autre côté. Il ne s'agit pas de s'empêcher de dire des choses qu'on aurait envie de dire. Au contraire, il s'agit de dire ce qu'on a à dire, et au nom de ce devoir de ne pas se laisser sombrer dans le n'importe quoi. Ouvrez nombre de romans publiés aujourd'hui : on ne peut pas se défaire d'une formidable impression de n'importe quoi. Or, le n'importe quoi est l'ennemi du sens. Si on a quelque chose à dire, dans son propre intérêt, il ne faut pas tomber dans cette ornière. Ce que je recherche, c'est le mot juste, la pensée exacte toujours tenue par un style tendu et maîtrisé. Mon impératif est simple : écrire des choses qui aient un sens. Je suis pour le sens, attitude qui n'est guère postmoderne - mais tant pis. Pour écrire des choses qui aient un sens, il faut une concision extrême et tenter d'aller le plus loin possible vers l'indicible sans jamais basculer dans l'absence de sens."
Senso, mai/juin 2005