Propos insignifiants
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 La semaine de Benoît Duteurtre dans Libé du 14 octobre

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2 participants
AuteurMessage
Magnakaï
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Nombre de messages : 79
Date d'inscription : 07/03/2006

La semaine de Benoît Duteurtre dans Libé du 14 octobre Empty
MessageSujet: La semaine de Benoît Duteurtre dans Libé du 14 octobre   La semaine de Benoît Duteurtre dans Libé du 14 octobre Icon_minitimeSam 14 Oct 2006 - 21:31

http://www.liberation.fr/transversales/weekend/210539.FR.php

SAMEDI
Allergie à la musique
Hier, au concert, la dame devant moi était prise de quintes de toux. Elle paraissait gênée, le visage rouge serré dans son mouchoir... Pourtant, elle semblait choisir précisément chaque moment de silence, d'émotion fragile dans la musique, pour lancer une nouvelle déflagration et troubler l'attention des autres. Cette forme d'allergie affecte une partie du public des concerts, pour qui le fait d'écouter une oeuvre pendant trente minutes est un exercice insupportable. Il arrive cependant que le taux de toux, dans une salle, soit un bon indicateur du degré de qualité musicale. En général, dans les moments de grâce, les bruits parasites s'interrompent miraculeusement ; au contraire, dans les oeuvres ennuyeuses, trop longues, mal jouées, la toux se répand dans l'auditoire à la façon d'une épidémie, réaction discrètement névrotique d'un public trop poli qui n'ose pas crier «assez !».
DIMANCHE
Mon chapeau de satiriste
Je ne suis pas sorti pour la Nuit blanche. Il m'a suffi de laisser la fenêtre ouverte pour entendre la rumeur monter du trottoir : l'ambiance paraissait calme et bon enfant, interrompue seulement, de temps à autre, par des sirènes d'ambulances ou de police. C'est le négatif des nuits de fête organisées : on sent que, par endroits, la tension monte, que des accidents se produisent, que des gens sont blessés...
J'ai donc préféré me coucher et retrouver Paris de bon matin. Faisant quelques pas jusqu'à la boulangerie, je suis tombé sur un voisin qui s'est avancé avec un large sourire. Il m'a presque tapé sur l'épaule en déclarant : «Je viens de lire votre dernier roman, Chemins de fer . C'est très amusant !» En un sens, j'étais content. Mais je suis rentré chez moi déconcerté par l'influence des étiquettes. Dans ce livre, en effet, j'avais plutôt l'impression d'être mélancolique. J'y raconte les aventures d'une héroïne fatiguée par ses démêlés avec la SNCF, puis avec les villageois qui plantent partout des ronds-points. J'y parle aussi de la poésie de l'hiver ; or, on se précipite vers moi avec un sourire hilare pour me féliciter d'être drôle, coiffé de mon chapeau de satiriste. Evidemment, le simple fait de décrire un réverbère absurde au milieu d'un village provoque le rire... N'empêche que j'ai du mal à me faire prendre au sérieux. Faudrait-il, comme Christine Angot, que je prenne un air furieux en répétant : «Moi, je fais de la littérature, moi !»
LUNDI
Les catégories floues
A propos d'étiquettes, encore : j'ai souvent pensé que j'étais «de gauche», tandis que nombre de mes amis me trouvaient «de droite». En écrivant des satires sur les gays, les médias, le téléphone portable, il m'a semblé que je faisais un travail de gauche (contester l'ordre des choses, la modernité officielle) ; mais les autres voyaient ces attitudes irrespectueuses et moqueuses comme plutôt réactionnaires. Ces catégories floues prennent parfois une étrange importance. Un jour, comme j'arrivais sur la plage d'Etretat, le Figaro en main, une femme assez sympathique, avec laquelle j'avais déjà parlé plusieurs fois, s'est exclamé : «Ah non, pas le Figaro , je ne parle pas avec les gens de droite !»
MARDI
Gainsbourg sans cigarettes
Apéro avec Jean-Sébastien au Banana Café. Les serveurs ­ victimes présumées du tabagisme passif ­ semblent déprimés qu'on veuille leur interdire la cigarette. L'affaire sera réglée promptement, dès février. La France rejoint ainsi le camp primitif de la guerre du bien, de la santé et de la sécurité (j'utilise volontairement le mot «primitif» pour qualifier le début d'un nouveau monde où la vie ne sera plus que «menaces» et «protections»). Bien sûr, le tabac est mauvais pour la santé ; mais je ne peux m'empêcher de regarder cela comme un changement de monde. Je n'arrive pas à m'imaginer Sartre ou Prévert sans leurs mégots à la bouche, Lili Marlène sans fume-cigarette, ni Gainsbourg prenant soin de sa santé. Dans le temps qui commence, ce n'est même plus la fumée qui gêne les antifumeurs, mais l'idée que les autres fument ou aient fumé. Pour eux, l'hypothèse de lieux fréquentables par les uns et les autres (une bonne ventilation ferait l'affaire) est inacceptable.
Ce matin, j'ai reçu le texte anglais de mon livre la Petite Fille et la cigarette, qui paraîtra en février aux Etats-Unis. Le premier chapitre raconte l'histoire d'un condamné à mort, empêché d'allumer sa dernière cigarette (comme l'y autorise pourtant le code pénal) après l'interdiction du tabac dans son centre de détention. Une scène du genre s'est vraiment déroulée peu après, en Californie.
MERCREDI
L'Europe des embouteillages
Intéressante ouverture de Libération sur le réchauffement climatique. Certaines contradictions sautent aux yeux dans les données du problème : il faudrait certes limiter le flux continu de marchandises sur les routes ; mais n'est-ce pas exactement le contraire que favorise l'Union européenne en accélérant la déréglementation des transports (c'est-à-dire la multiplication des poids lourds), tandis que la SNCF abandonne ses petites lignes et son trafic de fret pour devenir une entreprise performante ? Le décalage est énorme entre les intentions et la réalité économique, comme entre deux conceptions de l'Europe : voulons-nous vivre dans un grand marché frénétique (ce qu'on appelle à Bruxelles «être pour l'Europe») ? Ou pouvons nous bâtir, à l'échelle du continent, une politique publique, sociale, écologique, diplomatique ­ comme hier à l'échelle de chaque nation ? Ne serait-ce pas plutôt cela, le rêve européen ?
Je note avec intérêt que, parmi les mesures énumérées, figure le soutien à l'énergie nucléaire... Il s'agit évidemment de la seule alternative sérieuse au charbon et au pétrole. Ce qui ramène à la question des étiquettes : Libé n'hésite plus ­ et tant mieux ­ à mentionner une recommandation pronucléaire sans s'indigner, parce que cette proposition porte une étiquette de «gauche» (sous la houlette du sympathique Al Gore). Je me rappelle que toute la gauche s'était indignée du même propos tenu par une femme politique de droite (c'est arrivé à Roselyne Bachelot).
JEUDI
Liberté pour l'histoire
Les informations sur l'Iran et la Corée ­ en passe de posséder la bombe atomique ­ me rappellent la théorie marxiste de «l'accumulation primitive». Toute organisation sociale commencerait par une forme de racket, de vol (comme disait Proudhon), permettant la constitution de capital ; après quoi, la société se chargerait d'imposer des règles. Un tel racket fut encouragé par les économistes néolibéraux au moment de la décomposition de l'URSS ­ d'où la précarité croissante pour une partie de la population ; et simultanément la constitution des fortunes d'escrocs qui font tourner nos stations de ski... En matière nucléaire, il est frappant de voir comment les Etats-Unis, la Russie, puis l'Angleterre ou la France ont constitué, sans scrupule, d'immenses arsenaux capables de détruire plusieurs fois la planète ; et comment les mêmes prétendent fixer désormais une interdiction drastique aux autres. Je n'ai certes aucune sympathie pour les régimes de Téhéran ni de Pyongyang ; je partage même les craintes qu'ils inspirent... Mais on peut concevoir que, vu de l'autre côté, cela apparaisse comme une forme supplémentaire d'humiliation.
J'adresse également ma plus vive sympathie aux peuples turc et arménien... tout en m'étonnant que les députés prétendent décréter la vérité historique. On dirait que, pour contrebalancer son impuissance croissante dans les grands dossiers (la place de la France, l'organisation de l'Europe, les mutations économiques), la politique se réfugie dans les déclarations symboliques : pour ou contre les bienfaits du colonialisme, pour ou contre l'existence du génocide arménien... L'association de René Rémond Liberté pour l'histoire (qui regroupe 600 enseignants et chercheurs) s'élève contre cette fâcheuse tendance.
Vendredi
«Libération»
A vingt ans, Parisien de fraîche date, j'achetais Libé au kiosque du coin avec un sentiment de liberté. Lire ce journal, c'était aussi le porter fièrement sous le bras, comme pour signifier : «Je suis de gauche, je fume des pétards, je suis pour la liberté sexuelle, etc.» Des années plus tard, quand il m'arrivait d'acheter un autre journal, j'éprouvais au début une impression proche du péché. La modernité était pour moi une religion dont Libération était l'emblème.
Me voilà moins manichéen. Dans ces chères colonnes, par exemple : j'aime la liberté de ton, la vitalité dans le traitement de l'information, l'attention au monde qui change ; mais parfois je m'agace du respect figé devant les icônes de la modernité, d'une imagerie simpliste décrivant les combats de l'avant-garde contre la réaction, de la gentille gauche contre la méchante droite, des jeunes contre les vieux (à la moindre manifestation, on dirait que des photographes spécialisés s'appliquent à saisir artificiellement quelques images de lutte stylisée sur fond de nuage lacrymo, propres à ressusciter le rêve de 68) ? La police doit-elle toujours plus ou moins faire figure d'armée raciste et fasciste (quand bien même elle est largement composée de Blacks-Blancs-Beurs) ? Tout ce qui est rasoir en art contemporain doit-il être auréolé d'audace ?
Je ne peux m'empêcher de penser que, s'il est une qualité «de gauche», ce doit être d'abord l'esprit critique. Non pas seulement dirigé contre les images d'Epinal de la réaction, mais aussi contre ce dogme qu'est devenue la modernité, avec ses catégories manichéennes et sa soumission à tous les changements. En s'armant pour cette immense tâche, Libération a certainement un long avenir devant lui.


Benoît Duteurtre est né en 1960 à Sainte-Adresse, près du Havre. Depuis 1985, il a publié une dizaine de romans dont Gaieté parisienne, le Voyage en France (prix Médicis 2001), chez Gallimard. Service clientèle (Gallimard) ou la Petite Fille et la cigarette (Fayard) sont repris en Folio et traduits dans plus de quinze langues. Benoît Duteurtre anime chaque samedi sur France Musique Etonnez-moi Benoît. Son dernier roman, Chemins de fer, vient de sortir chez Fayard avec une couverture de Sempé.


Dernière édition par le Lun 16 Oct 2006 - 15:58, édité 1 fois
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LP de Savy
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Date d'inscription : 06/04/2005

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MessageSujet: Re: La semaine de Benoît Duteurtre dans Libé du 14 octobre   La semaine de Benoît Duteurtre dans Libé du 14 octobre Icon_minitimeSam 14 Oct 2006 - 23:38

Merci pour ce texte, où l'on retrouve beaucoup de l'écrivain.
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