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 Entretien avec Ian McEwan

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LP de Savy
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MessageSujet: Entretien avec Ian McEwan   Entretien avec Ian McEwan Icon_minitimeLun 15 Sep 2008 - 9:47

Littérature - Ian McEwan : demain, l'apocalypse ? (le Point, 4/9/08)

Ian McEwan, le meilleur romancier anglais, publie « Sur la plage de Chesil » le 11 septembre chez Gallimard. Parallèlement, cet ex-rêveur érotomane longtemps surnommé Ian Macabre, et qu’on croyait changé en sexagénaire serein veillant à l’ombre des arbres d’Oxford, tire aujourd’hui l’épée. Contre l’obscurantisme religieux et celui qu’il considère être le premier d’entre eux : l’islam. Réfugié dans son cottage blanc des Chilterns comme en une thébaïde, l’auteur nous a accordé un entretien exclusif. Et apocalyptique.



Le Point : Comment un romancier populaire comme vous, à l’écart des modes, couvert de distinctions, devient-il soudain un polémiste de la libre-pensée ? Et à quel prix ?

Ian McEwan : Avec mes amis Martin Amis et Salman Rushdie, nous sommes devenus, aux yeux d’une partie de la presse, des adeptes du néoconservatisme, donc des cibles à abattre, même si nous ne mettons pas en doute l’islam mais l’islamisme. J’ai écrit un essai sur l’Apocalypse dans l’édition dominicale du Guardian en mai 2008, intitulé « Le Jugement dernier » (1), lequel met en relief la concurrence apocalyptique des religions monothéistes ; c’est à celle qui nous prédira le pire ! L’immortalité dans la mort, la purification eschatologique, je n’y crois pas. J’ai réfléchi sur les rapports entre la science et la religion, la raison et la foi : la conquête du génotype, c’est la conquête du Graal aujourd’hui. Je ne vois pas pourquoi un écrivain ne se passionnerait pas pour l’aventure scientifique.

Vous abordez aussi ces thèmes en romancier. Dans « Samedi » (publié chez Gallimard), n’était-il pas question du déterminisme génétique, de la diversité des possibles ?

En effet, c’est mon intérêt pour la science, l’aléatoire du destin, la génétique, qui m’a conduit à interroger la religion. Comme beaucoup d’autres, le 11 septembre 2001 m’a fait réfléchir à l’étrange couple foi et vertu : en quoi sont-elles indissociables ? Est-ce que nous ne nous leurrons pas en les accouplant ? Je pense que la foi est une perversion mentale ! Un truisme : je crois parce que je crois. Et alors ? Où sont les preuves de l’existence de Dieu ? Il n’y a pas de vertu systématique dans la notion de foi, même la plus pure, la plus limpide. La foi nous prépare à croire à n’importe quoi, n’importe comment. Je suis guidé par mon scepticisme et mon intuition. Comment ne pas être soucieux quand on voit l’islam radical imposer sa marque jusque dans les affaires privées en Angleterre, au nom de la liberté d’opinion ? Alors, même si mon imaginaire reste à gauche, il y a des moments où je me rapproche d’un autre camp, plus conservateur. La gauche ne doit pas se commettre avec les ennemis de la liberté, les fanatiques de tout poil et la sphère de l’irrationnel. Je sais bien que le besoin de croire est si profondément ancré dans le coeur humain qu’on ne peut concevoir de l’en arracher ; mais nous dicter quels livres nous devons lire, quelles émissions de télévision nous pouvons regarder, enfin réfléchir comme des adultes ramenés à l’état d’enfance, laisser la religion envahir la vie privée, cette situation infantile, je la refuse de toute mon âme.

Mais ne rayez-vous pas d’un trait toutes les beautés que nous devons aux Eglises et au sentiment religieux, les cathédrales, la peinture, la littérature même ?

Il n’y a nul besoin de la foi pour ressentir la transcendance d’un moment, d’une époque ; l’épiphanie, le bonheur, un poème ou un paysage. L’Histoire fournit le contexte, le motif obligé, mais tous ces hommes d’Eglise croyaient-ils vraiment ? Les paysages bibliques en peinture valent-ils vraiment ce que vous dites ? Toutes ces "Annonciation", ces "Vierge à l’Enfant Jésus", de quelle prison mentale ne sont-elles pas le reflet ? Je préfère l’art du prosaïsme de la peinture hollandaise. Le XXe siècle a été sans Dieu, mais ce sont les autres absolutismes qui ont, hélas, triomphé.

Serait-ce davantage l’affrontement de deux modes de pensée : l’Occident contre le reste du monde ?

Je ne crois pas. En Irlande, il y a eu un référendum sur l’avortement. Pas un moment l’Eglise catholique n’a désarmé sur la portée universaliste de son message : tout le mal vient du fait que la religion est un messianisme, un désir de conquête. On nous dit quoi faire, quoi penser, quoi interdire. On nous traite comme des enfants naïfs. Pour les écrivains de ma génération, et les autres, le chapitre 1 de cette histoire remonte à l’affaire Rushdie : soudain, des citoyens de Grande-Bretagne descendaient dans la rue, brûlaient en effigie un autre citoyen, le condamnant à mort. Ce n’était pas assez de le brûler métaphoriquement, il fallait la mort de l’homme qui avait osé écrire un roman. Incroyable ! Ce fut alors la mort de l’utopie multiculturelle. Quelque chose ne passait plus : ne serait-ce pas depuis la publication de « De l’origine des espèces par voie de sélection naturelle » de Charles Darwin en 1859 !

Mais l’Angleterre n’a-t-elle justement pas aidé ce système à se mettre en place : un Londonistan multiculturel ?

Oui. Comme beaucoup, j’aime la variété d’un Londres métissé qui a emprunté à bien des genres ; mais cette liberté s’arrête là où commence la haine des autres. Je voudrais trouver à ce problème crucial une traduction romanesque ; difficile pour l’instant ! Quelle est notre notion de la liberté ? Comment concilier la libre-pensée et la tolérance d’une société ouverte ? Comment freiner l’expansion hors de la sphère du privé des croyances personnelles ? Ne devrions-nous pas revenir à une société romaine ? Nous avons vu quels dégâts une théocratie peut entraîner.

Si je vous comprends bien, vous pourriez étendre vos critiques à l’Amérique de Bush ?

Oui, c’était à l’origine une République fondée sur l’idée d’une absence de Dieu au centre des affaires publiques. Tout cela a beaucoup dégénéré, je vous l’accorde ! Mais ne sous-estimons pas l’importance des débats : lorsque mon ami Christopher Hitchens a écrit un récent livre polémique sur la religion, « God is not Great : How Religion Poisons Everything » (2), il est parti accomplir une tournée de promotion dans les Etats les plus croyants de la Bible Belt : sont venus à lui tous ceux qui voulaient une voix pour dire le refus de la religion et qui n’étaient représentés nulle part. Il n’y a pas d’Eglise pour les athées et les sceptiques !

Dans mon essai sur l’Apocalypse, « Le Jugement dernier », j’étudie cette idée de la rédemption par le sang versé et la destruction universelle. C’est un discours si proche de ce que j’entends dire au président iranien Ahmadinejad, ce culte de la pureté dans la mort, ce culte des martyrs, que j’en ai froid dans le dos. N’oublions pas que « Les protocoles des sages de Sion », publié en 1905 à l’instigation de la police tsariste et utilisé par Hitler, refait surface comme texte central pour les islamistes, vendu à l’étalage à travers tout le Moyen-Orient. N’oublions pas que, selon la tradition apocalyptique chiite, le 12e imam a disparu au IXe siècle et devrait réapparaître derrière une mosquée non loin de Qom. Son retour sera le début de la fin du monde. On voit ainsi se dessiner une géographie de signes perceptibles qui, une fois rassemblés, terrifient le libre-croyant que je suis.

Alors, c’est vrai, devoir à Bush la représentation politique d’un clan d’amis de la liberté, ce n’est guère un résultat brillant ! Quelle que soit l’issue de la guerre en Irak, on devra se poser la question du coût en vies humaines : trop de morts, trop de civils tués.

Ne faut-il pas ajouter le coût absurde de la corruption et du gaspillage des fonds publics, comme l’atteste le réquisitoire de Rajiv Chandrasekaran dans son enquête sur la zone verte de Bagdad ? (3)

La société irakienne devait être reconstruite, elle l’a été par une administration américaine qui ne croit pas à la force publique de la nation mais à la privatisation, à l’externalisation des ressources, jusqu’à la torture privatisée. Quand vous gouvernez, vous devez imposer l’ordre, c’est la première chose à faire. Pourquoi ces réserves de munitions laissées intactes ? Pourquoi ces milices laissées en liberté ? Pourquoi cette inexpertise de la gestion d’une crise ? A quoi ont servi les centaines de pages produites par le département d’Etat ? S’il fallait se conduire en puissance coloniale, alors il devait y avoir les moyens appropriés.

Avec « Sur la plage de Chesil » (voir critique p. 89), une fiction sur l’échec d’un couple, nous sommes loin de notre controverse théologique !

Plus que pour mes précédents livres, je reçois un courrier étonnant ; l’un de mes lecteurs, pour résumer l’échec d’une nuit conjugale, m’a écrit : « J’ai eu une nuit sur la plage de Chesil hier soir ! » Les lecteurs s’identifient facilement, parce que, quand j’écris, je joue avec la statistique des possibles, la science de l’inexact, la chance de mes personnages. Et l’un de mes soucis avec Dieu, c’est que, s’il est omniscient, il connaît le futur : rien ne peut le changer. Le romancier n’est pas Dieu : il doit laisser ses personnages évoluer, mourir, aimer...

1. A lire dans le numéro de septembre de la Revue des Deux Mondes.

2. Publié en Angleterre chez Atlantic Books en 2007.

3. A lire absolument, « Dans la zone verte. Les Américains à Bagdad », de Rajiv Chandrasekaran » (Ed. de L’Olivier).

Ian McEwan

21 juin 1948 Naissance à Aldershot, dans le Hampshire, fils d'un militaire et d'une mère au foyer.

Etudes à l'université du Sussex, puis cours de « creative writing » de l'université d'East Anglia où il a comme professeurs Malcolm Bradbury et Angus Wilson.

1978 « Le jardin de ciment », adapté au cinéma.

1987 « L'enfant volé » (Whitbread Novel Award et prix Femina étranger en 1993).

1990 « L'innocent », adapté au cinéma.

1998 « Amsterdam » (Booker Prize).

2001 « Expiation » (WH Smith Literary Award), adapté au cinéma, son plus gros succès à ce jour, plus de 1 million d'exemplaires vendus.

2006 « Samedi » (James Tait Black Memorial Prize). En cours d'adaptation au cinéma.
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