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 Alabama Song de Gilles Leroy

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LP de Savy
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MessageSujet: Alabama Song de Gilles Leroy   Alabama Song de Gilles Leroy Icon_minitimeDim 19 Aoû 2007 - 22:54

Zelda la magnifique

Bernard Pivot, le Journal du Dimanche, 19 août 2007.

Cette rentrée littéraire ne sera pas écrasée comme celle de l'année dernière par une météorite (Les Bienveillantes, de Jonathan Littell), ni, comme en 2005, agitée furieusement par un ovni (La possibilité d'une île, de Michel Houellebecq). Il y aura bien le livre très attendu de Yasmina Reza sur Nicolas Sarkozy, mais, s'il relève de la littérature et peut-être de la politique, on doute qu'il puisse être rangé dans le roman. C'est donc une rentrée ouverte, comme on le dit d'une course.

Table ouverte, aussi. Sur la mienne les romans forment des piles, des colonnes, des stalagmites. On pioche, on retourne, on renverse, on prend, on hume, on lit. Et on trouve son bonheur. Par exemple, Alabama Song, de Gilles Leroy.

Connaissez-vous Francis Scott Fitzgerald (Gatsby le magnifique, Tendre est la nuit, etc.), cet écrivain américain emporté en 1940, à l'âge de 44 ans, par une gloire aussi violente qu'éphémère, et par l'alcoolisme? Génie instable, prématurément usé. Plus lu et considéré par les Français que par les Américains, Fitzgerald a souvent séjourné à Paris. Lui et sa femme, Zelda, formaient un couple éblouissant de beauté et de glamour. Mais aussi tapageur, déchiré, insolent, scandaleux. Du gibier de potins. Elle, à la dérive, gagnée peu à peu par la folie, a terminé tragiquement sa vie, en 1948, dans une clinique psychiatrique.

C'est justement à Zelda que Gilles Leroy a confié la tâche de raconter leur existence. Ou plutôt sa vie à elle, Zelda Sayre, fille d'un juge de l'Alabama, petite-fille d'un sénateur et d'un gouverneur, jeune Sudiste sportive, délurée, décidée, qui, au lieu de céder à un costaud de Montgomery ou de s'unir à un fils de famille, préféra se faire enlever par un flamboyant gringalet de New York qui prétendait devenir le plus grand écrivain américain. On est séduit d'entrée par Zelda et par sa tonique manière de dire tout ça: les yeux verts du lieutenant Scott, ses talents de danseur, le conformisme du Sud, le désir de liberté, la fuite avec le Yankee...

Gilles Leroy ne prétend pas cerner la vérité au plus près. Il revendique au contraire le droit d'inventer des seconds rôles, des lettres, des événements, des rencontres. Puisque Zelda est un formidable personnage de roman, il la traite comme telle, et probablement, dans sa manière très personnelle, intime, de la faire revivre, de, risquons le mot, l'aimer, en donne-t-il un portrait d'une stupéfiante justesse. Surtout, il nous la rend très proche par l'emploi de mots et de tournures qui sont plus de notre époque que de la sienne. Le style moderne et brillantissime de Gilles Leroy, outre qu'il procure un constant plaisir de lecture, fait de Zelda une Américaine contemporaine, une femme d'aujourd'hui.

Une scène annonce ce que sera sa vie avec Scott. Pour ses 18 ans, l'excentrique jeune homme a envoyé un phaéton la prendre chez ses parents. "... Dans le geste galant de Scott, dont n'importe quelle débutante eût été flattée, il y avait une outrance et une domination qui me donnaient le sentiment d'être un joujou. Je sais tenir les chevaux, et je détestais ce cocher en habit ridicule. J'aurais tellement préféré conduire moi-même le cabriolet." Zelda ne conduira jamais. Scott sera toujours dans l'excès de passion, d'autorité, de muflerie, de romantisme, d'alcool. Elle avait voulu épouser un écrivain ? Elle l'avait, sauf qu'il ramenait tout à ses livres, à son travail, à sa gloire, à l'argent qu'il devait gagner pour payer une existence dispendieuse. Il se conduisait en enfant gâté. Ce qui faisait dire à Zelda: "Le seul enfant que je voulais de lui, c'était lui", alors que, comme elle en avait eu le pressentiment, elle n'était que son joujou. Sa parure, sa publicité, son meilleur sujet de roman. "Cette entreprise à deux, ce n'est pas l'amour."

L'amour, le vrai, le brûlant, elle l'a connu pendant un mois, sur la plage de Fréjus (le Sud, évidemment), avec un bel aviateur français. Mer, soleil et sexe. La comparaison n'était guère flatteuse pour le pauvre Scott... Celui-ci lui dit un jour, en français: "Accordons nos violons." Elle entendit: "Accordons nos violences." Elle répondit oui.

Elle a essayé de s'en sortir seule. Par la peinture et par l'écriture. Cette ambition littéraire tardive a déplu à Scott. Il l'accusa de le copier. Elle lui reprocha de lire son journal et de la piller. De signer de son nom des nouvelles qu'elle avait écrites. Comment croire une victime qui savait qu'elle avait déjà perdu la partie, qui collectionnait les psychiatres et que la folie rongeait un peu plus chaque jour?

Ainsi la jolie fille de l'Alabama avait-elle joyeusement commencé sa vie sur des airs de fox-trot et de matchiche et l'a-t-elle finie dans une sourde et pathétique complainte.
Alabama Song, de Gilles Leroy, Mercure de France, 192 pages, 15 euros.

PS: Comme d'habitude, vous allez vous ruer sur le nouveau roman d'Amélie Nothomb. Cette année, vous aurez raison. Avec Ni d'Eve ni d'Adam(Albin Michel, 245 pages, 17,90 euros), elle renoue avec la veine nipponne de Stupeur et tremblements. En ce temps-là, elle donnait des cours de français à un jeune homme de Tokyo, devenu son fiancé et son amant. Comment a-t-il conquis Amélie, comment s'est-elle dépêtrée du piège du mariage... Tout en subtilités, exquises drôleries et cruautés culturelles.
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