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 Décès de Julien Gracq

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LP de Savy
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MessageSujet: Décès de Julien Gracq   Décès de Julien Gracq Icon_minitimeMer 26 Déc 2007 - 15:44

Profil Gracq

Julien Gracq, géant des lettres françaises, auteur du «Rivage des Syrtes», est mort samedi, à 97 ans.

Mathieu Lindon (Libération, 24 décembre 2007)


«Pourquoi le sentiment s’est-il ancré en moi de bonne heure que, si le voyage seul - le voyage sans idée de retour - ouvre pour nous les portes et peut changer vraiment notre vie, un sortilège plus caché, qui s’apparente au maniement de la baguette de sourcier, se lie à la promenade entre toutes préférée, à l’excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d’attache, à la clôture de la maison familière ?» Ainsi s’ouvre les Eaux étroites, que Julien Gracq publia en 1976. Adulte aux sortilèges, l’écrivain s’est attaché tout au long de son œuvre ouverte par Au château d’Argol, en 1938, à rendre compte de ce romanesque de l’habitude, aux paysages et aux «excursions» aussi bien intérieurs qu’extérieurs qui se révèlent tout à fait imprévus et aventureux à force de sembler ne pas l’être.


Le «ton» de cet auteur, à qui André Breton exprima son admiration dès la publication de son premier livre, est celui d’un surréaliste classique dont le respect pour Breton n’éteindrait pas celui pour les latins. Julien Gracq a choisi son pseudonyme en hommage au héros du Rouge et le Noir pour le prénom, et pour la sonorité du nom latin pour son patronyme. «Les livres de Julien Gracq sont des livres de chevet que l’on peut relire sans cesse en les ouvrant au hasard. Je sais d’expérience que dans les périodes de tristesse et de solitude la lecture de Gracq apporte un réconfort, un apaisement et une exaltation», écrit Patrick Modiano dans le recueil Qui vive ? sous-titré Autour de Julien Gracq (José Corti, 1989). L’écrivain a vécu dans une discrétion que même le prix Goncourt attribué malgré lui (et qu’il refusa, lire page 3) au Rivage des Syrtes en 1951 n’a pu durablement combattre.

«à l’Encre verte»

Louis Poirier, qui vient de mourir Julien Gracq samedi à 97 ans, est né le 27 juillet 1910 à Saint-Florent-le-Vieil, dans le Maine-et-Loire. Son grand-père était boulanger ; son père, mercier. Il fait ses études secondaires à Nantes, où il est un brillant élève (cinq nominations au concours général). Il entre en hypokhâgne au lycée Henri-IV, à Paris, en 1928, puis, en 1930, à l’Ecole normale supérieure où il est reçu sixième. Il aime le cinéma, Murnau et Dreyer. Plus tard, il rendra souvent visite à Robert Bresson sur le tournage de Lancelot du Lac. Le sport le passionne. En 1933, il devient diplômé d’études supérieures en géographie et est reçu quatrième à la section diplomatique de Sciences-Po. Après son service militaire, il est nommé professeur d’histoire au lycée de Nantes, profession qu’il exercera dans diverses affectations (dont le lycée Claude-Bernard, à Paris, de 1947 jusqu’à sa retraite, en 1970). Il anime le cercle d’échecs de Quimper et s’affilie à la CGT.

Dans ses Souvenirs désordonnés, le libraire et éditeur José Corti, très proche des surréalistes, raconte comment, en 1938, il reçut par la poste, accompagnée d’une lettre écrite «à l’encre verte» (alors très rare et semblable à celle qu’utilisait Breton), un manuscrit qu’il est rapidement enthousiaste à l’idée de publier. Si ce n’est qu’il lui manque l’argent nécessaire. Il demande à l’auteur d’avancer les frais. Gracq accepte. La fidélité de l’écrivain aux éditions Corti durera jusqu’à sa propre mort, survivant à celle du fondateur, survenue en 1984.

L’éditeur décrit ainsi son auteur : «On voyait un homme d’une élégance sobre, qui en était arrivé, en réaction du laisser-aller, à se faire, sans allusion à Tristan Tzara, une antitête, toujours exactement tondu de la nuque aux tempes et ne tolérant de cheveux que ce qu’il faut pour permettre le tracé d’une petite raie. C’était un homme qu’une fiche signalétique n’aurait pu définir que comme moyen en tout. […] Gracq n’est pas un homme de conversation de salon. Il est l’homme du tête-à-tête ; celui qui cherche dans l’interlocuteur cette part de singulier, cette part d’humain qui peut l’intéresser. […] Il décevra même celui qui espère saisir dans sa conversation quelque chose de la poésie de son œuvre, qui attend que jaillisse enfin l’improvisation brillante où éclatera l’esprit, l’humour, le trait de Liberté grande.»

Mais, par écrit, il défend fermement son idée de la littérature. Il préfère Stendhal et Balzac à Flaubert, entretient avec Proust un rapport compliqué («J’admire. Mais je ne sais pas si j’aime ça»), il déteste Sartre, moque le Nouveau Roman, et adore Nerval, Tolkien et Jules Verne : «Je le vénère, un peu filialement. Je supporte mal qu’on me dise du mal de lui. Ses défauts, son bâclage m’attendrissent. […] Et nul ne me donnera jamais honte de répéter que les Aventures du capitaine Hatteras sont un chef-d’œuvre.»


«ressouvenir»


Au château d’Argol paraît début 1939. Le manoir d’Argol met déjà en scène ce qui deviendra l’univers habituel de Julien Gracq, cette atmosphère du «ressouvenir» qu’il admire tant chez Poe. «Le génie d’Edgar Poe, presque aussi évident dans le choix de ses épigraphes que dans la matière de ses contes. On les ajouterait simplement les unes aux autres que son timbre original n’en résonnerait pas moins avec une netteté, une fidélité absolue», écrit-il dans Lettrines. Nul doute que, dès Argol, Julien Gracq ait voulu atteindre son originalité propre par un mélange similaire d’émotion et de distance. Comme Poe, il manifeste son respect et son irrespect du fantastique, à la fois inaccessible et quotidien. Son enfance bretonne l’a familiarisé au roman noir et aux légendes celtiques. Au château d’Argol, qui a été refusé par Gallimard, n’obtient pas un succès de vente, mais Gracq reçoit une lettre d’André Breton : «Votre livre m’a laissé sous l’impression d’une communication d’un ordre absolument essentiel.»

Lieutenant d’infanterie, il est fait prisonnier en juin 1940 et libéré, parce qu’on le croit tuberculeux, en février 1941. Dans le camp, il se fait remarquer des autres internés. Armand Hoog, compagnon de captivité, écrira de celui qui «fut pour nous tous un sujet permanent d’irritation, d’admiration», quand tous, évidemment, détestaient le camp : «Mais ce Gracq, le plus individualiste, le plus anticommunautaire de tous, le plus férocement antivichyssois, il passait là-dedans comme soutenu par son mépris, sans se laisser atteindre.» En juin 1940, quand les Allemands entrent à Saint-Florent-le-Vieil, ses parents détruisent les papiers de leur fils, craignant que ses sympathies communistes de jeunesse n’y apparaissent. Le manuscrit d’Au château d’Argol est brûlé.

Julien Gracq retrouve l’enseignement à partir de 1941, mais travaille surtout à son recueil poétique Liberté grande et au roman Un beau ténébreux (qui se déroule en Bretagne). «J’évoque, dans ces journées glissantes, fuyantes, de l’arrière-automne, avec une prédilection particulière les avenues de cette petite plage, dans le déclin de la saison soudain singulièrement envahie par le silence.» En 1948, il publie son essai André Breton et la pièce le Roi Pêcheur, qui fait un flop l’année suivante.

En 1950, paraît la Littérature à l’estomac, bref pamphlet d’abord paru dans la revue Empédocle et qui fait scandale. Il s’en prend au «petit jeu littéraire» et aux chapelles politiques.

«l’esprit-de-l’histoire»

Stendhalien, il ne le gêne aucunement que la littérature soit réservée aux «happy few». Il précise dans une note pour la publication en volume de son texte : «Quand je dis que "la littérature est depuis quelques années victime d’une formidable manœuvre d’intimidation de la part du non-littéraire, et du non-littéraire le plus agressif", je désire rappeler seulement qu’un engagement irrévocable de la pensée dans la forme prête souffle de jour en jour à la littérature : dans le domaine du sensible, cet engagement est la condition même de la poésie, dans le domaine des idées, il s’appelle le ton : aussi assurément Nietzsche appartient à la littérature, aussi assurément Kant ne lui appartient pas. C’est pour l’avoir oublié un peu légèrement que nous nous trouvons menacés aujourd’hui de cette chose impensable : une littérature de magisters.»

En septembre 1951 sort le Rivage des Syrtes, qui va obtenir le prix Goncourt dont Gracq ne veut pas. Ce roman, qui se déroule à Orsenna - ce qui donnera son pseudonyme à un autre écrivain ayant lui aussi reçu le Goncourt, Erik Orsenna -, est sans doute son chef-d’œuvre. Il débute ainsi : «J’appartiens à l’une des plus vieilles familles d’Orsenna. Je garde de mon enfance le souvenir d’années tranquilles, de calme et de plénitude, entre le vieux palais de la rue San Domenico et la maison des champs au bord de la Zenta, où nous ramenait chaque été et où j’accompagnais déjà mon père, chevauchant à travers ses terres ou vérifiant les comptes de ses intendants. Mes études terminées dans l’ancienne et prestigieuse université de la ville, des dispositions assez naturellement rêveuses, et la fortune dont je fus mis en possession à la mort de ma mère, firent que je me trouvai peu pressé de trouver une carrière.»

«Peu pressé», chacun l’est à Orsenna, où ne cessent d’être mis sur pied les préparatifs d’une guerre éternellement à venir. Une indolence inquiète règne tout au long du livre, jusqu’à l’angoisse. On a souvent rapproché ce livre du Désert des Tartares, de Dino Buzzati, paru en Italie en 1940 mais traduit en français en 1949, quand Gracq a presque achevé son propre roman (il mettra vingt mois à en écrire les soixante dernières pages). A travers une histoire apparemment anodine, l’écrivain décrit le déclin d’une civilisation. Il écrit dans En lisant en écrivant : «Ce que j’ai cherché à faire, entre autres choses, dans le Rivage des Syrtes, plutôt qu’à raconter une histoire intemporelle, c’est à libérer par distillation un élément volatil, l’"esprit-de-l’Histoire", au sens où on parle d’esprit-de-vin, et à le raffiner suffisamment pour qu’il pût s’enflammer au contact de l’imagination. Il y a dans l’Histoire un sortilège embusqué, un élément qui, quoique mêlé à une masse considérable d’excipient inerte, a la vertu de griser. Il n’est pas question, bien sûr, de l’isoler de son support. Mais les tableaux et les récits du passé en recèlent une teneur extrêmement inégale, et, tout comme on concentre certains minerais, il n’est pas interdit à la fiction de parvenir à l’augmenter. […] J’aurais voulu qu’il eût la majesté paresseuse du premier grondement lointain de l’orage, qui n’a aucun besoin de hausser le ton pour s’imposer, préparé qu’il est par une longue torpeur imperçue.»

«règlement de comptes»

Julien Gracq est désormais célèbre. Bio et bibliographie semblent se confondre. En 1958, il publie le récit Un balcon en forêt, inspiré de la drôle de guerre et peut-être un peu de son expérience (ou sa non-expérience) militaire. L’attente, thème essentiel de l’œuvre de Gracq, y rejoint l’histoire contemporaine : combien de soldats français perdus dans les Ardennes ont ainsi si longtemps patienté pour si brièvement se battre ? Combien ont-ils vraiment fait la guerre ? «Il ne faudrait qu’attendre, pensa-t-il encore. Seulement attendre. Mais il y a quelque chose de défendu à attendre cela», lit-on à propos du désir dans la Presqu’île, recueil de trois nouvelles. Gracq fait aussi paraître deux volumes de Lettrines, ainsi que En lisant en écrivant, les Eaux étroites, Autour des sept collines, la Forme d’une ville, Carnets du grand chemin.

Sa théorie de l’écriture, Julien Gracq l’a toujours fait reposer sur son unique expérience d’écrivain et de lecteur. A la question «Pourquoi écrivez-vous ?» posée par Libération en 1985, il finit ainsi sa réponse : «Mais il m’arrive plus souvent, je crois, de procéder en écrivant à un règlement de comptes intime, où la considération du public n’a pas de part : règlement de comptes, par la vertu stabilisante de l’écriture, avec le flou décevant et la bile du film intérieur - règlement de comptes aussi avec la paresse, l’inertie de l’esprit en liberté, par l’exercice strict des pouvoirs propres à la langue.» Dans Lettrines, il écrit : «Vous me demandez ce que je pense de mes livres ? Infiniment plus de bien, et infiniment plus de mal que vous.»

Dans Lettrines 2, il dit les «journées de fin de saison» et ce qu’elles lui inspirent : «Une fois de plus, l’année va ramener ces jours de solennité rayonnante et déserte que j’ai évoqués dans Un beau ténébreux, journées pour moi baptismales, qui délient du passé et qui rouvrent les portes, qui m’éveillaient et qui m’appelaient si fort. Pendant que j’écris, le soleil qui descend en face de moi jaunit et dore cette page, et ma plume y fait courir une ombre longue et aiguë de cadran solaire. Ces heures-là, heures entre toutes les heures de l’année, sont toujours venues à moi avec une promesse ou avec une sommation. Mais il se fait tard, et il n’y a plus rien devant moi cette fois-ci.»


Cet article doit beaucoup au travail effectué par Bernhild Boie pour l’édition des Œuvres complètes de Julien Gracq dans la Pléiade (tome I en 1989, tome II en 1995).
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MessageSujet: Re: Décès de Julien Gracq   Décès de Julien Gracq Icon_minitimeMer 26 Déc 2007 - 15:50

1951, un Goncourt pour le «non-candidat»

Cet article doit beaucoup au travail effectué par Bernhild Boie pour l’édition des Œuvres complètes de Julien Gracq en Pléiade (tome I en 1989, tome II en 1995). M.L.

Mathieu Lindon, Libération.fr 23/12/07

Le Rivage des Syrtes sort en septembre 1951. «C'est le seul roman que Gracq ait jamais publié au moment de la rentrée littéraire: on ne l'y reprendra plus!» écrit Bernhild Boie dans sa notice sur le roman de l'édition Pléiade.

José Corti, l'éditeur de Gracq, n'envoie le livre à aucun des dix membres de l'Académie Goncourt à part André Billy, celui-ci étant critique au Figaro littéraire. Le livre est bien accueilli par la critique et il se dit bientôt qu'il a ses chances pour le Goncourt. Gracq, qui vient d'attaquer les prix dans le pamphlet la Littérature à l'estomac, écrit dans le Figaro littéraire du 28 novembre: «Non seulement je ne suis pas, et je n'ai jamais été, candidat, mais, puisqu'il paraît que l'on n'est pas candidat au prix Goncourt, disons pour mieux me faire entendre que je suis, et aussi résolument que possible, non-candidat.» L'Académie Goncourt précise en dessous de la lettre: «Il n'y a pas de candidature au prix. Il n'y a donc pas, non plus, de ‘non-candidature’.»

Le 3 décembre, le Rivage des Syrtes reçoit le prix au premier tour avec six voix, dont celles de Colette, Pierre Mac Orlan, Raymond Queneau et André Billy (mais pas celle de Francis Carco). «Bref, l'auteur avait mis autant d'explicite fermeté à récuser tout prix littéraire que les Goncourt d'entêtement à le couronner malgré lui. Dans le billet à Gérard Bauër qui contient son vote, Colette dit d'ailleurs sans détours: ‘Je m'obstine à voter pour Gracq’», écrit Bernhild Boie.

Soutenu par José Corti qui ne mettra pas de bande «Prix Goncourt» sur le roman, Julien Gracq refuse le prix une heure après qu'il lui a été attribué. Mais il ne peut refuser le bruit et la fureur, d'autant que le scandale fait encore plus parler du livre. André Billy, défenseur acharné, lui en veut de ce «rigorisme hors de commune mesure avec les contingences où un auteur se place de lui-même quand il fait paraître un livre». Pour protester contre son refus jugé publicitaire, des jeunes (dont Guy Bedos) projettent un enlèvement canularesque de Gracq à la sortie du lycée Claude-Bernard où il enseigne, et l'écrivain est sauvé par les journalistes. La presse se divise entre ceux qui saluent sa «fermeté de caractère» et ceux qui déplorent sa «prudence ostentatoire». «Maurice Nadeau, le plus cruel de tous et qui ne cachait guère son aversion pour le roman, le déclare bien digne du prix Goncourt: ‘Contrairement à ce qu'on dit, le Rivage des Syrtes aura du succès et M. Julien Gracq, drapé dans sa dignité offensée, est en marche pour une belle carrière de romancier’», écrit Bernhild Boie.

Craignant qu'on l'ait trouvé «très malin», Julien Gracq répond dans Arts le 7 décembre. Il dit qu'il fait, lui, partie de ce public qui n'a pas acheté un prix Goncourt depuis dix ans sans s'«en croire très appauvri» et conclut: «Je tiens tout de même à redire au jury, sans plus d'acrimonie qu'il ne faut -je sais; on ne me croirait pas- qu'il y a des écrivains pour qui la manne publicitaire n'excuse pas tout, qu'un écrivain après tout a le droit de choisir sa voie vers le public, et qu'en ne voulant pas tenir compte d'un refus fermement exprimé, ils commettent, tout de même, un abus de pouvoir.»

Dans ses Souvenirs désordonnés, José Corti dit du livre et de son destin commercial : «Il s’est vendu, mais il fait mentir les statistiques ; son chiffre de tirage reste en deçà de ce que peut rendre un roman médiocre qui s’adresse au public Goncourt.» Le Rivage des Syrtes est au programme de l’agrégation de lettres 2008.
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MessageSujet: Re: Décès de Julien Gracq   Décès de Julien Gracq Icon_minitimeMer 26 Déc 2007 - 15:53

L'écrivain s'est éteint samedi des suites d'un malaise. Il avait 97 ans.

Julien Gracq est mort samedi. Âgé de 97 ans, il a disparu après avoir eu un malaise. Le célèbre auteur du «Rivage des Syrtes» et de «Eaux Etroites» notamment avait été hospitalisé au CHU d'Angers en début de semaine après avoir déjà eu un malaise à son domicile de Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire), où il vivait retiré depuis de nombreuses années.

Né le 27 juillet 1910 dans ce même village d'Anjou, en bord de Loire, Julien Gracq figurait parmi les très grands écrivains français, auteur de 19 ouvrages nourris de romantisme allemand, de fantastique et de surréalisme.


Refus du Goncourt

Homme secret et rétif aux honneurs, Julien Gracq s'était notamment illustré par son refus du prix Goncourt en 1951 pour son chef d'oeuvre «Le rivage des Syrtes». En 1989, il avait cependant accepté d'entrer dans la collection de Gallimard, la Pléiade. Ce qui faisait de lui l'un des rares écrivains à être publié dans cette prestigieuse collection de son vivant.

Jamais édité en poche, ses textes n'ont connu que des tirages limités, ce qui ne l'avait pas empêché d'acquérir un immense prestige auprès d'un public lettré.

(Le Figaro, 23 décembre 2007)
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MessageSujet: Re: Décès de Julien Gracq   Décès de Julien Gracq Icon_minitimeMer 26 Déc 2007 - 15:58

Julien Gracq, un écrivain immense et secret

(Sébastien Lapaque, Le Figaro, 24/12/07)

Julien Gracq est mort samedi, à Angers, à l'âge de 97 ans. Normalien, entré dans «La Bibliothèque de la Pléiade» de son vivant, il était auréolé d'une réputation d'écrivain secret.

Depuis quelques années, l'auteur des Carnets du grand chemin ne quittait guère sa maison natale du quartier de la Gabelle à Saint-Florent-le-Vieil, où il recevait des visiteurs auxquels il parlait volontiers de football ou d'échecs, mais plus rarement de littérature, conseillant à ses hôtes de se reporter à ses livres. Dernier classique vivant, honoré de deux volumes dans «La Bibliothèque de la Pléiade», Julien Gracq avait donné le mot de la fin à nos confrères du Monde dans le courant de l'année 2000.

«En littérature, je n'ai plus de confrères. Dans l'espace d'un demi-siècle, les us et coutumes neufs de la corporation m'ont laissé en arrière un à un au fil des années. J'ignore non seulement le CD-Rom et le traitement de texte, mais même la machine à écrire, le livre de poche, et, d'une façon générale, les voies et moyens de promotion modernes qui font prospérer les ouvrages de belles-lettres. Je prends rang, professionnellement, parmi les survivances folkloriques appréciées qu'on signale aux étrangers, auprès du pain Poilâne, et des jambons fumés chez l'habitant.»

Une survivance folklorique du monde d'avant : ainsi se présentait plaisamment Julien Gracq, «anarque» angevin souvent cité parmi les favoris d'un prix Nobel de littérature qu'il se serait fait un devoir de refuser, comme il avait refusé le Goncourt et l'Académie française. Il était né Louis Poirier à Saint-Florent-le-Vieil, rue du Grenier-à-Sel, sur les hauteurs de la Loire, le 27 juillet 1910. Son père était représentant de commerce, sa mère employée aux écritures dans une mercerie en gros. Élève de khâgne au lycée Henri-IV à Paris, où Alain a été son professeur, reçu à l'École normale supérieure en 1930 avec Henri Queffélec, il a passé l'agrégation de géographie en 1934 avant d'enseigner à Quimper, Nantes, Amiens et Paris, où il a notamment eu Renaud Matignon et Jean-René Huguenin pour élèves.

«Il parlait d'une voix égale, nette et confidentielle, qui forçait l'attention et abolissait toute velléité de distraction, se souvenait Renaud Matignon. Résultat : dans la classe de M. Poirier, professeur d'histoire et géographie qui enseignait Saint-Just et le plissement hercynien aux potaches du lycée Claude-Bernard, on entendait une mouche voler.» L'auteur des Eaux étroites a quitté l'Éducation nationale en 1970, vivant depuis lors de sa retraite de professeur et de ses droits d'auteur et partageant le plus clair de son temps entre lecture, écriture et promenade.

Toute sa vie, Julien Gracq a fréquenté les livres plutôt que les gens. Tout a commencé avec Jules Verne, le héros de ses 8 ans. Ensuite il y a eu Edgar Poe, découvert à 12 ans, et Stendhal, qu'il a lu à 15 ans. «Mes seuls véritables intercesseurs et éveilleurs», confiait-il. Il faut leur associer Chateaubriand, Balzac, Nerval, Saint-John Perse, Francis Ponge, André Pieyre de Mandiargues et Ernst Jünger, dont il est devenu l'ami après s'être acheté Sur l es falaises de marbre par hasard à la gare d'Angers.


Héritier d'André Breton

Depuis 1937, et la publication chez José Corti, libraire éditeur à Paris, du Château d'Argol, Julien Gracq était auréolé d'une réputation d'écrivain génial et secret qui faisait quelques envieux. Certains le disaient arrogant. Cet Alceste des bords de Loire qui avait légué sa riche bibliothèque à la municipalité de Saint-Florent-le-Vieil il y a quelques années s'en étonnait. «Je ne discerne pas très bien en quoi consiste cette arrogance, cette posture arrogante, qu'on me reproche là ?» Marqué à la fois par le romantisme allemand, par la littérature fantastique et par le surréalisme, Au château d'Argol n'a eu qu'une poignée de lecteurs, mais de ceux qui comptent.

Ainsi André Breton, que Julien Gracq a eu l'occasion de rencontrer à Nantes à la veille de la Seconde Guerre mondiale et auquel il a consacré en 1948 un maître essai dans lequel il s'attarde sur l' introduction de la poésie dans la prose à laquelle l'auteur de Nadja a puissamment contribué et à laquelle lui-même s'est attaché dans tous ses livres romans ( Un beau ténébreux, Le Rivage des Syrtes, Un balcon en forêt), théâtre (Le Roi pêcheur), mélanges de critique littéraire (Lettrines, En lisant en écrivant, Carnets du grand chemin), pamphlet (La Littérature à l'estomac), récits (Les Eaux étroites), nouvelles (La Presqu'île) ou essais de géographie sentimentale (La Forme d'une ville, Autour des sept collines).

Héritier d'André Breton, Julien Gracq l'était par son goût de la prose poétique et non par un quelconque respect de la doxa surréaliste. Qu'on songe à cette interrogation splendide qui ouvre Les Eaux étroites : «Pourquoi le sentiment s'est-il ancré en moi de bonne heure que si le voyage seul le voyage sans idée de retour ouvre pour nous les portes et peut changer vraiment notre vie, un sortilège plus caché, qui s'apparente au maniement de la baguette de sourcier, se lie à la promenade entre toutes préférée, à l'excursion sans aventure et sans imprévu qui nous ramène en quelques heures à notre point d'attache, à la clôture de la maison familière ?»

Né à la frontière de l'Anjou et de la Vendée, dans ces Mauges qui servent de décor aux Chouans de Balzac, Julien Gracq était l'écrivain des paysages absolus. À l'étendue où aime se dissoudre l'homme moderne, il a toujours préféré la profondeur, revenant sans cesse aux mêmes écrivains, aux mêmes livres, aux mêmes souvenirs, aux mêmes questions. Il a aimé les routes, les cartes, les confins, les reliefs, les fleuves, les lisières, les frontières comme aucun autre avant lui. Plutôt que d'aller chercher de nouveaux paysages au bout du monde, il a passé sa vie à retrouver à l'infini ceux de son enfance. Passionné par l'étude des formes du terrain, Julien Gracq est le seul écrivain de sa date à s'être aussi obstinément consacré à célébrer «la face de la terre». Ses livres les plus singuliers sont nés de ce beau souci : La Forme d'une ville, Autour des sept collines.


Ses œuvres vendues au bar-tabac

Sa froideur apparente dissimulait un tour, un accent et un sel volontiers impertinents et drôles. Il a ainsi bousculé les gendelettres dans La Littérature à l'estomac avant de refuser le prix Goncourt 1951 décerné au Rivages des Syrtes. Évoquant le charme constant qu'exerçait sur lui l'œuvre de Jules Verne, ce supporteur du Football Club Nantes Atlantique expliquait sans rire qu'il détestait qu'on critique l'auteur des Aventures du capitaine Hatteras en sa présence. «Ses défauts, son bâclage m'attendrissent. Je le vois toujours comme un bloc que le temps patine sans l'effriter.» Rattachant les écrivains à la catégorie des «professions délirantes», Julien Gracq était la fois un voyeur et un voyant, comme Arthur Rimbaud avant lui. Écrivain sans biographie ou presque , il tenait tout entier dans son œuvre et dans son style, où le temps s'abolit au profit d'une autre modalité de l'être et du dire, mystérieuse et initiatique.

On le lisait, on l'admirait, on rêvait d'aller lui rendre visite à Saint-Florent-le-Vieil où les deux volumes de ses Œuvres complètes dans la «Pléiade» étaient vendus au bar-tabac le plus proche de chez lui. M. Gracq n'avait abdiqué au «gros animal» social qu'une infime part de lui-même, restant jusqu'au bout un écrivain sans machine à écrire.
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MessageSujet: Re: Décès de Julien Gracq   Décès de Julien Gracq Icon_minitimeDim 30 Déc 2007 - 23:07

Le «grand écrivain»

Anthony Palou

29/12/2007 Le Figaro Magazine

Julien Gracq est mort le 22 décembre à l'âge de 97 ans. Retour sur le parcours de celui qui fut une légende de son vivant.

Il y a ce cliché immédiat, quand on évoque l'imposante figure de Julien Gracq, celui, un peu ridicule, du « grand écrivain ». Quelque chose d'intemporel, d'insulaire se pose sur son ombre. Il avait dès le début revêtu l'uniforme du classique. Adoubé par le pape André Breton, qui n'avait pas son pareil pour baptiser ou donner l'extrême-onction à un homme de lettres, Julien Gracq fut empaillé, à l'instar d'André Gide ou autre Julien Green, de son vivant dans La Pléiade. « Je suis confiné », avait-il déclaré un jour, parlant de ses racines vendéennes. Secret, retiré près d'Angers dans sa maison de Saint-Florent-le-Vieil, rue du Grenier-à-Sel, où il naquit le 27 juillet 1910, il entra dans la légende des lettres en 1951, lorsqu'il refusa le prix Goncourt pour son roman Le Rivage des Syrtes. Les élèves du lycée Claude-Bernard, où il enseigna jusqu'à sa retraite, n'en revinrent pas que leur timide professeur d'histoire-géo, Monsieur Louis Poirier, célibataire, fût en réalité cet écrivain qui signait sous le pseudonyme de Julien Gracq.

Cette intelligence exceptionnelle était pourtant, comme l'avait défini José Corti, son seul et unique éditeur, « un homme moyen ». Il était devenu avec les années une plante rare. Il est vrai, ce n'est pas peu dire, qu'un écrivain qui refusa de passer chez le Pivot de la grande époque ne court pas les rues. Quant à ses trois refus de déjeuner à l'Elysée avec le président Mitterrand - qui avait été photographié lisant un ouvrage de l'écrivain -, ils forcent un certain respect. Sous ses airs de petit bourgeois provincial cravaté, sous ce petit côté géographe amidonné, Julien Gracq restera finalement comme un homme du refus : prix littéraire, télévision, écoles et honneurs en tous genres, Livre de Poche, il ne céda à aucun chant de sirène. Gracq n'était pas un pur romancier. Il le savait. Il était plutôt un écrivain de paragraphes qu'il ponçait à l'infini jusqu'à une quasi-perfection. Si ses romans sont souvent assommants, ses portraits de villes réelles ou imaginaires, ses descriptions de régions marginales toujours à la frontière, ses analyses littéraires (Stendhal, Chateaubriand, Hugo, Nerval...) sont d'une stupéfiante beauté, d'une implacable lucidité. Fidèle à l'idée de l'écrivain du XIXe siècle, il pensait que seuls comptent les livres, que l'ego scriptor n'avait guère d'intérêt.

Il aimait les échecs, le cinéma, le fantastique allemand, Wagner puis Brahms, les romans policiers, Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, Maurice de Guérin, Jules Verne, le football, le rugby et, plus surprenant, le boomerang, dont il était un fin connaisseur. Il se fichait des mondanités car il n'avait pas besoin de briller pour être celui qu'il fut : Julien Gracq, écrivain français.
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