Propos insignifiants
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 Mort de François Nourissier

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LP de Savy
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MessageSujet: Mort de François Nourissier   Mort de François Nourissier Icon_minitimeJeu 24 Fév 2011 - 16:16

L'écrivain François Nourissier est mort

L'écrivain français François Nourissier est mort, mardi 16 février, à l'âge de 83 ans, a révélé l'académie Goncourt, dont il avait été membre pendant une trentaine d'années avant d'en démissionner, en 2008, pour raisons de santé : il souffrait depuis plusieurs année de la maladie de Parkinson qu'il appelait "Miss P" dans ses livres.

L'homme qui s'estimait écrivain mais pas "viscéralement romancier" a bâti une œuvre alternant chroniques et romans, pour ausculter avec lucidité son malaise et ses contradictions. Surnommé "l'Eminence grise", l'ancien conseiller littéraire de Grasset (1958-1996) était critique au Figaro Magazine. Il avait été élu à l'académie Goncourt en 1977 avant d'en devenir le secrétaire général, en 1983, et le président, de 1996 à 2002.

Né le 18 mai 1927 à Paris, orphelin de père à 8 ans, François Nourissier, diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris, travaille après la guerre pour un organisme de réfugiés. Il débute dans la littérature à 24 ans en publiant L'Eau grise (1951), dans la ligne de Chardonne. L'année suivante, il entre aux éditions Denoël, dont il est secrétaire général (1952-1956), avant d'être rédacteur en chef de la revue La Parisienne (1956-1958) puis conseiller littéraire chez Grasset.

UN HOMME SÉVÈRE AVEC LUI-MÊME

En 1964 paraît Un petit bourgeois, sévère autoportrait d'un homme qui écrit "je ne m'aime pas, je n'aime pas ma vie". Considéré comme son chef-d'œuvre, ce livre est le deuxième volet d'une trilogie autobiographique, qui comprend Bleu comme la nuit (1958) et Une histoire française (1966), grand prix du roman de l'Académie française.

Quatre ans plus tard, La Crève obtient le prix Femina. Il sera suivi d'Allemande (1973), Le Musée de l'homme (1978), L'Empire des nuages (1981), La Fête des pères (1986). Après Bratislava (1990), réflexion sur la vieillesse qui s'annonce, les années 1990 sont fécondes. L'écrivain publie une demi-douzaine d'ouvrages, dont des romans à connotation sociologique, sur la politique française ou la vie littéraire.

Avec Mauvais genre (1994), livre d'entretiens, et A défaut de génie (2000), livre testament, il complète son "autoportrait acide". Marié à Hélène Cécile Muhlstein, artiste peintre apparentée à la famille Rothschild, il racontera leur relation tumultueuse, marquée par l'alcoolisme, dans l'ouvrage Eau-de-feu (2008).

"HUSSARD DE LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES"

Nicolas Sarkozy a salué la mémoire de l'écrivain, qu'il a qualifié de "hussard de la République des lettres". "Celui qui avait eu la modestie de publier des Mémoires sous le titre 'A défaut de génie' nous laisse en fait une grande œuvre, reflet de ses combats intimes et de l'ironie avec laquelle il considérait son époque et son milieu, celui des lettres et de la grande bourgeoisie", a écrit le chef de l'Etat dans un communiqué. Le premier ministre, quant à lui, a salué cette "grande figure des lettres françaises", ce "représentant exigeant d'une littérature de qualité, d'un style parfait, d'une œuvre jamais facile".

Le Monde, 16 février 2011.
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MessageSujet: Re: Mort de François Nourissier   Mort de François Nourissier Icon_minitimeJeu 24 Fév 2011 - 16:27

L'adieu à François Nourissier, dernier des "grands"

Un ancien premier ministre au teint bronzé et à la chevelure argentée, écrivain et poète à ses heures perdues, un ministre de la culture en exercice, un académicien français, Jean d'Ormesson, deux académiciens Goncourt, Françoise Chandernagor et Bernard Pivot, une poignée d'éditeurs de Grasset et d'ailleurs et une grappe de critiques littéraires des années 1970 à nos jours... Vendredi 18 février, les personnalités venues rendre un ultime hommage à François Nourissier, mort le 16, étaient nettement moins nombreuses que toutes celles qu'il avait contribué à découvrir et à rendre célèbres tout au long de sa carrière. Il est vrai que, entre-temps, beaucoup sont déjà partis et que les enterrements en période de vacances scolaires font rarement salle comble.

Le lieu de la cérémonie, le crématorium du Père-Lachaise, était symbolique. C'est là qu'en 2007 l'écrivain, déjà atteint de la maladie de Parkinson - "son handicap" qu'il avait surnommé "Miss P." -, avait dit adieu à la peintre Cécile Muhlstein, sa compagne pendant quarante-cinq ans. Les gerbes de fleurs - lis et tulipes blanches pour l'académie Goncourt, roses blanches pour "Antoine Gallimard et les éditions Gallimard" - entouraient le cercueil.

Peu importe le nombre des participants, si la qualité des hommages est au rendez-vous. La chaleur est arrivée de la dizaine de petits-enfants de l'écrivain venus lire à voix haute des extraits de ses oeuvres principales : La Crève, Le Gardien des ruines, Lettre à mon chien, ou de celles qu'il aimait se réciter avant de ne plus être capable de parler : les poèmes Recueillement, de Baudelaire, et Rends-toi, mon coeur, d'Henri Michaux.

Dix-neuf fauteuils roulants

"François Nourissier avait une position d'influence dans le monde littéraire qui n'a pas d'équivalent depuis André Gide et qui ne se reproduira pas avant longtemps", a résumé Françoise Chandernagor. Pourtant, plus qu'à l'homme d'influence, critique féroce et enthousiaste, c'est à l'ami qui ne se passait rien, qu'elle a rendu hommage, à celui qui comptait "dix-neuf fauteuils roulants", de la fenêtre d'hôpital où il vivait reclus depuis trois ans et qui parlait du "mur sec" de la chambre dans lequel il séjournait.

Editrice en 2000 d'A défaut de génie, Teresa Cremisi, actuelle patronne de Flammarion, a salué la lucidité et la liberté de ton de François Nourissier. Pour tous les critiques littéraires venus assister à ses funérailles, c'était bien le dernier des "grands" que l'on venait saluer. Dans cettte assemblée, seuls manquaient des représentants de la gent canine, que l'académicien appréciait énormément. Ni son chien ni Clément, celui de Michel Houellebecq, auteur salué par Nourissier, n'ont fait le déplacement.

Alain Beuve-Méry

Le Monde 19.02.11
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MessageSujet: Re: Mort de François Nourissier   Mort de François Nourissier Icon_minitimeJeu 24 Fév 2011 - 16:42

Pour saluer François Nourissier

De l’écrivain, du critique, de l’homme d’influence littéraire que fut François Nourissier, d’autres sauront dire les qualités qu’il faut lui reconnaître. Une manière très française dans la plus belle acception que l’on puisse conférer à l’expression. Un Français en ce sens que tout, dans la clarté de sa prose comme dans ses regrets, exprime d’une manière ou d’une autre la nostalgie d’une France qui s’éloigne. Un ton, un allant, un rythme secret, un mouvement de l’âme qui irriguait le moindre de ses textes tapé sur sa vieille machine Remington au ruban exténué. Un écriture très classique qui ne semblait d’aucun temps car elle concentrait en elle ce que la passion musicale de la langue avait déposé de plus précis, de plus nuancé et de plus fin. Le souci de l’écriture l’habitait pareillement pour ses critiques (le plus souvent “pour”, mais incisives lorsqu’elles étaient “contre”), ses lettres que ses romans.

Tout ce qui sortait de sa plume portait l’empreinte des écrivains à mi-voix qu’il chérissait, les Renard, Constant, Cingria, Calet, Larbaud, Guilloux, sans cesser d’admirer le panache d’un Morand et la prose poétique d’un Aragon. Il était ses titres même : un Petit bourgeois (1964) devenu Maître de maison (1970) à la recherche d’Une vie parfaite (1952), préférant la compagnie des bêtes à celles hommes au point d’écrire une Lettre à mon chien (1975) avant de finir en Gardien des ruines (1992) dans la Maison mélancolie (2005) d’où il pouvait contempler le rayon de bibliothèque de son œuvre écrite avec application A défaut de génie (2000), son grand livre et la récapitulation de toutes ses hontes et ses secrets, inventaire d’une ironie sur soi qui ne cessait de verser dans la haine de soi. Implacable avec son ombre, il ne s’épargnait guère. Il savait ses limites, celle d’un écrivain condamné à “cet impressionisme affecté” dans lequel il pouvait exceller sans forcer son talent. Nonchalant volontiers grincant selon les humeurs du jour, enfermé dans une image de lui à laquelle il ne croyait plus vraiment, François Nourissier aimait les femmes, les automobiles, les maisons et la Confédération helvétique.

Il s’était retiré il y a quelques années dans une clinique , parisienne qui avait tout d’un Musée de l’Homme (1978) depuis que Parkinson & alii l’envahissaient. Comme nous avions avant l’habitude de déjeuner ensemble régulièrement, nous avons continué après mais sans déjeuner. Appelons cela une sorte d’amitié scellée par le vouvoiement. Cet endroit où attendre la mort, il y était visité de temps en temps puis de moins en moins au fur et à mesure que sa voix l’abandonnait jusqu’à n’être plus qu’une expression dans le regard, tout ce qui restait d’intact en lui. Au début, il frappait l’attention car il s’était défait de ce qui le dissimulait depuis toujours : barbe, lunettes, influence. Progressivement, la maigreur venant, de rares cheveux dressés à la diable, il faisait penser à Antonin Artaud à Rodez. Le spectre de la clochardisation annoncée l’effrayait. Le parfait homme de Lettres se métamorphosait en homme nu selon Simenon.

Enfermé dans une image de lui à laquelle il ne croyait plus vraiment, il était las d’attendre depuis quatre ans une heure de vérité qui ne venait pas. ”Si vous faites vite, on vous regrettera peut-être” s’adressait-il à lui-même, conscient que toute sa poésie et sa mélancolie se réfugiaient dans ce “peut-être”. L’esprit était intact. Pas désespéré mais inespérant et inespéré. En un ultime réflexe de civilisé, il s’excusait auprès du visiteur de ne pouvoir le raccompagner à la porte. Les bergers allemands étaient devenus ses êtres vivants préférés. En entrant définitivement dans l’hiver de son corps, il disait son angoisse. La puissance muette du regard hurlait sa peur de la fin. Les livres ne lui étaient plus d’aucun secours. Il le prit pour un signe. François Nourissier se rendra vendredi à 14h au crématorium de Père-Lachaise en avant, calme et droit.

Pierre Assouline

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MessageSujet: Re: Mort de François Nourissier   Mort de François Nourissier Icon_minitimeJeu 24 Fév 2011 - 16:46

François Nourissier, une histoire française


L'écrivain, ancien président de l'Académie Goncourt, s'est éteint à l'âge de 83 ans.

Un écrivain français est mort. Un grand romancier du XXe siècle qui avait placé son œuvre dans le sillage de ceux qu'il admirait et qui avaient accompagné ses premiers pas en littérature, Montherlant, Chardonne Aragon. François Nourissier est l'auteur de romans qui font d'ores et déjà date dans la littérature de notre temps: Une histoire française, Le Maître de maison, L'Empire des nuages, En avant, calme et droit. De ceux-ci, il disait «de livre en livre je suis resté à l'intérieur de ces dates (1939-2000) qui dessinent sur la carte du temps mon polygone de sustentation. Je me suis voulu le romancier d'une société fermée ».

L'œuvre de François Nourissier vaudra longtemps, non pas tant à cause de ses tableaux de la bourgeoisie française du XX° siècle (son personnage de Saint-Lorges est déjà d'anthologie), que par son style singulier, caractérisé par une cadence magnifique, une maîtrise parfaite du vocabulaire. Dans tous ses livres, l'écrivain a dompté le français, l'a poussé, comme un cavalier pousse sa monture: pour en obtenir le meilleur. Mots classiques ou oubliés, formules inhabituelles, argot ou vocabulaire familier, lire du Nourissier c'est faire un voyage en France, écouter parler ses habitants d'hier et de toujours, les contemporains de Voltaire et ceux de Paulhan. A peu d'écrivains d'aujourd'hui, il aura été donné cette complicité naturelle avec une langue.

Il écrivait un jour avec cette ironie sourde qui était son autre marque: «L'avantage de manquer d'homme, de mari, de père, de tuteur, de vieil ami à principes c'est qu'on peut lire tranquillement.» L'écrivain faisait allusion au grand drame de son enfance, la mort de son père, en 1935, à ses côtés, pendant une séance de cinéma. «Orphelin d'Auteuil», Nourissier ne cessa jamais de lire et d'écrire sur ses lectures. Au total un bon millier de chroniques pour Le Figaro littéraire, Le Figaro magazine (dont il fut le remarquable chroniqueur dès le premier numéro), Le Point, attentif à l'émergence de nouveaux talents (Besson, Neuhoff, Houellebecq). Il disait que l'ensemble de ses «papiers» remplissaient une malle et que s'il faisaient un jour l'objet d'une publication, celle-ci s'intitulerait le Cycliste du lundi, allusion au coursier chargé d'acheminer la précieuse chronique de son domicile, jusqu'au siège du Figaro.

L'œuvre de François Nourissier recèle d'ailleurs quelques surprises, au milieu de tant de titres devenus classiques de son vivant. Ainsi un étrange Armistice dans la guerre aux femmes, annoncé en 1998 et jamais paru (hormis un chapitre torride paru en pré-publication dans un recueil des éditions Grasset). Ainsi ce roman oublié, intitulé Seize ans et publié dans la collection «Série blonde» sous le pseudonyme de France Norrit. Il faudrait encore parler du texte que Nourissier signa sur Brigitte Bardot en catastrophe, pour pallier la défection de Simone de Beauvoir, auteur d'un texte sur l'actrice paru en Italie mais qu'elle refusa de voir paraître en France pour ne pas écorner sa réputation à Saint-Germain. Nourissier se prêta au jeu avec entrain et écrivit BB 60 en quelques heures.

C'est qu'avant d'être un écrivain consacré par le Grand prix du roman de l'Académie, le Femina puis son admission au sein de la société littéraire des Goncourt, Nourissier fut un jeune lion des lettres françaises, volontiers polémiste, et de la plus belle encre. En 1956, il signa Les Chiens à fouetter (qui parut dans La Parisienne sous le nom d'Albéric Norrit): le fauve mordait à belles dents quelques une des grandeurs d'établissement qu'il serait appelé à connaître, côtoyer et aimer quelques années plus tard (André Stil ou Marguerite Duras). Son histoire avec les Goncourt avait commencé en 1968. Cette année-là, le Maître de maison est favori au Goncourt. Ce sera Bernard Clavel qui l'emportera, grâce à la voix double du président. Ce coup de théâtre entraîne la démission de Louis Aragon - excusez du peu. En 1977, Nourissier tiendra sa revanche en étant élu à l'académie Goncourt. Il y jouera un grand rôle. On se souvient notamment de ses efforts (vains) pour que la prestigieuse récompense échoie à Michel Houellebecq. La médiatisation du prix Goncourt, et la suspicion permanente pesant sur son fonctionnement ont enfermé Nourissier dans le rôle convenu de «pape des lettres», de père Joseph de l'édition, de chef d'état-major des manœuvres d'automne, tous qualificatifs qu'il assuma crânement mais dont il souffrit.

L'homme, avec sa barbe solennelle, son ton et ses manières, était plus surprenant que l'image commode de «notable des lettres». Ses amis étaient écrivains (Edmonde Charles-Roux, Pierre Combescot, Pierre Assouline, Jérôme Garcin) éditeurs (Teresa Cremisi), dandies (Sam et Joyce Mansour) mais aussi peintres (Alechinsky, Beaurepaire), ou hommes politiques (il avait noué avec l'ancien premier ministre Dominique de Villepin une relation quasi filiale, et le voyait, racontait-il, le dimanche, dans des déjeuners où l'un et l'autre faisaient assaut de citations). On pourrait encore parler de son commerce avec les agents immobiliers de France et de Navarre: sa passion des maisons (nichée au cœur de son œuvre) lui en fit visiter des centaines pour le seul plaisir de découvrir, de faire chez des quidams des intrusions de romancier.

Peut-être le vrai Nourissier était-il ailleurs?

Qui se souvient que son premier livre ne fut pas un roman mais un essai au titre magnifique, l'Homme humilié de 1949 à 1952, il travailla au Secours catholique, chargé du sort des «personnes déplacées». La préface de l'ouvrage fut rédigée par le grand orientaliste Louis Massignon.

Nourissier appartenait à la confrérie d'une génération formée par Bertrand-Poirot Delpech, François-Régis Bastide, Jean-François Deniau, Jean Raspail, Jérôme Peignot ou Jean d'Ormesson. Un groupe de jeunes gens qui avaient vécu leur adolescence pendant la guerre. Tous avaient eu l'âge dl'observer mais pas de participer. Une génération marquée par la défaite de leurs pères, en 40, également par la victoire de 45 de leurs aînés. Témoin cette dédicace de son roman Allemande à son ami Maurice Rheims: «… parce que lui ces années-là, il se battait ». Nourissier avait définitivement choisi pour maxime fétiche une phrase tirée de Service inutile (Montherlant): «Il faut être fou de hauteur». Etrange aveu pour un homme paraît-il nourri d'intrigues et de compromis? Non pas: l'écrivain habile, soucieux du sens des mots, l'homme prudent et courtois, le fin politique de la République des lettres cachait une grande rigueur de caractère, une inflexibilité pour les autres et pour lui. La plume pouvait dissimuler une cravache, le flegme apparent un caractère impérieux, un goût de la formule cinglante fût-ce à son encontre. Il nous revient un séjour que fit François Nourissier chez le commandant Hélie de Saint Marc. En son temps, l'écrivain avait écrit sur l'officier putschiste des pages courageuses qui avaient paru dans France Observateur: «Quand un certain homme joue brusquement son honneur, le sens de son métier et de sa vie, on doit y trouver quelques vraies raisons». Ils se rencontrèrent quarante ans plus tard. Nourissier s'était présenté à nu, fort de sa réputation et sa position, avec humilité face à un homme qui avait risqué sa vie, et incarnait une face douloureuse de l'histoire de France. Mais ils s'étaient trouvé et apprécié sur certain terrain où l'exigence n'était pas absente.

Il disait de ses romans qu'ils étaient «la moitié de son bagage pour le dernier voyage. L'autre moitié sera, je l'espère, le modeste monument autobiographique bâti entre 1963 et l'an 2000»: des textes intitulés Un petit bourgeois, Bratislava, jusqu'au Prince des berlingots. Il y parlait de lui avec la précision d'un chirurgien fouillant un organisme. Il accomplissait une étonnante introspection, à la recherche de ses défauts, ses manquements comme époux et comme père, ses soit-disant bassesses de caractère et à la fin de sa vie effectua une analyse implacable de la maladie qui l'accablait et qu'il avait baptisée Miss P. (pour Parkinson). Avec elle, il avait engagé une joute silencieuse. Il en parlait comme d'une vieille compagne envahissante, commentait sa progression, ses audaces, ses défaites. Il mettait dans sa relation médicale une ironie déconcertante pour ses interlocuteurs. Ces dernières années, son combat avait été affaibli par des chagrins intimes, irrémédiables. Nourissier a lutté jusqu'au bout avec un courage de Romain. Certains jours confiait-il le spectre blanc des Gary, Hemingway et autre Montherlant, les grands suicidés de la littérature, traversait sa chambre. «Je ne pensais pas que ce serait si dur» disait-il récemment, à bout de force.

Cet écrivain avait la passion des titres de livres. Il conservait une liste de certains qu'il avait trouvés et racontait qu'A défaut de génie avait surgi plusieurs années avant le début de la rédaction de ses mémoires. La Fête des pères, Eau de feu, le Gardien des ruines, le Musée de l'homme, chaque mot était pensé, soupesé, jugé et choisi ou rejeté. Lors de notre dernier dîner, il avait demandé au garçon du papier et un stylo. Il y avait inscrit son nom, comme sur la couverture d'un livre et puis ce titre: Fin. Et nous avait demandé:

- Que pensez-vous de celui-ci ?

Le Figaro, 17/2/2011.
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MessageSujet: Re: Mort de François Nourissier   Mort de François Nourissier Icon_minitimeJeu 24 Fév 2011 - 16:51

D'Ormesson : Nourissier était plus que le «pape des lettres»

Après la disparition de l'écrivain mardi 15 février, à l'âge de quatre-vingt-trois ans, son ami de longue date, témoigne.

La mort a eu pitié de François Nourissier. Longtemps, elle l'a laissé en proie aux manœuvres de celle qu'il appelait «Miss P » - la maladie de Parkinson. Elle a enfin consenti à délivrer de tant de souffrance cet écrivain français parti d'un si bon pied.

Pendant près d'un demi-siècle, François Nourissier a dominé les lettres françaises. Il régnait sur la presse, sur l'édition, sur la littérature. Secrétaire général, puis président de l'académie Goncourt, il était, à lui tout seul, une institution. Avec Bernard Pivot, il était au premier rang de ceux qui faisaient et défaisaient les réputations littéraires.

Il ne s'épargnait pas

Ses articles dans La Parisienne, dans Le Point, dans Le Figaro littéraire, dans Le Figaro magazine tombaient comme des oracles. Le Nourissier était toujours attendu avec impatience et avec une pointe d'angoisse par les jeunes écrivains - et par les moins jeunes. Nourissier savait manier avec une science accomplie l'encens et le fer rouge, l'éloge et la pointe assassine.

Il ne s'épargnait pas lui-même. D'une mauvaise santé de fer et hypocondriaque, sa condition et son apparence physiques - qu'il avait fini par dissimuler sous une barbe devenue légendaire - ne le satisfaisaient pas. Il ne s'aimait point. Ses amis - Edmonde Charles-Roux, Alechinsky, Teresa Cremisi, Sam et Joyce Mansour, Maurice Rheims, Pierre Combescot…, tant d'autres, vivants ou morts, auxquels je pense aujourd'hui en même temps qu'aux siens et à sa fille Paulina - l'aimaient beaucoup plus qu'il ne s'aimait soi-même. Ce qu'il préférait, c'était s'attaquer lui-même plus encore que les autres, fouiller ses propres plaies, présenter des faiblesses dont il tirait sa force. Plusieurs de ses livres portent des titres prémonitoires: La Crève, Le Gardien des ruines. Sa vie - la fin de sa vie surtout - aura imité ses romans. La crève s'est emparée de lui. Il a été le gardien de ses propres ruines.

Deux de ses plus grands livres - Un petit bourgeois dans sa jeunesse , À défaut de génie, trente-cinq ans plus tard - sont des essais grinçants et superbes où il se livre avec jubilation à cet exercice d'autoflagellation dans lequel il n'a jamais cessé d'exceller.

Auteur d'Une histoire française, il était très français. Ni cosmopolite ni parisien. Mais attaché à ce pays dont il a été l'interprète. «Je me suis voulu le romancier, disait-il, d'une société fermée.» Ses romans - Le Maître de maison, L'Empire des nuages, La Fête des pères, En avant, calme et droit , Le Bar de l'escadrille…- mettent en scène la bourgeoisie française, avec ses chiens, ses chevaux, ses jeunes filles, ses peintres - Totote, sa femme, était peintre -, ses éditeurs, ses familles dont il est le chroniqueur attentif et amer, ses maisons qu'il a toujours aimées.

La terreur des débutants

De la lignée des Chardonne et des Montherlant, il était lié à Aragon, qui a démissionné des Goncourt dont le prix avait échappé à Nourissier. Sans jamais cesser d'être ironique et critique, il était attentif aux talents nouveaux - Neuhoff, Besson, Garcin… - qu'il voyait surgir autour de lui. Il avait été un des premiers à défendre Michel Houellebecq.

Il n'était pas seulement le «pape des lettres», la terreur des débutants, le grand ordonnateur des cérémonies littéraires. Il était beaucoup plus. Il était le maître d'une langue qu'il connaissait comme sa poche et qu'il maniait avec virtuosité. Il est un de ces écrivains qui font encore rêver quelques jeunes gens.

Le Figaro, 17/2/2011.
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MessageSujet: Re: Mort de François Nourissier   Mort de François Nourissier Icon_minitimeVen 25 Fév 2011 - 16:49

Hommage. La mort du mentor des lettres françaises.

François Nourissier, un bourgeois qui ne s'aimait pas

Il fut l’un des symboles et des pontifes de la vie littéraire des années 1970 à 1980. Mais aussi un authentique amoureux des livres.

La première fois que je l’ai vu, c’était au Bistro de la Muette, dans le XVIe. Un arrondissement que les écrivains se gardent d’habiter. Mon Dieu, la rive droite ! Et le XVIe, en plus ! Il n’y aurait renoncé pour rien au monde, il en était même assez fier, mais sur le tard il aurait tant voulu avoir mauvaise réputation, tourner le dos à sa carrière. C’était difficile parce qu’il était romancier, critique, président des Goncourt, ponte des éditions Grasset dont il assura le succès avec Jean-Claude Fasquelle et Yves Berger, parisien qui aimait le monde. Pas les gros tirages mais le maréchalat des Lettres. Il avait son revers : comme beaucoup d’écrivains reconnus, quand il a eu tout ce qu’il désirait François Nourissier aurait aimé qu’on parle davantage de ses livres que de lui. Il en avait écrit un qui s’appelait Mauvais genre, et dans la seconde partie de sa vie, il a couru après le mauvais genre, forçant le trait et se mettant à ressembler à ses personnages de la bourgeoisie française.

Dans la première, il s’était acharné à réussir. De son enfance il avait gardé la peur d’être abandonné, la peur de l’échec. Né dans un milieu de petits-bourgeois sans argent, il a fait avec ténacité son chemin dans le bonheur confus de l’après-guerre. Les journaux, les livres, les prix, tout cela avait encore beaucoup d’importance. Il a franchi toutes les étapes. Journaliste, éditeur, pivot des jurys, vivant enfin dans le confort, épousant le milieu de sa belle-famille au point de dire “l’oncle Élie” ou “l’oncle Robert” quand il parlait des Rothschild, il était important, influent et finalement aussi courtisé que courtisan.

Un des symboles de la vie littéraire des années 1970 à 1980. Ensuite, quand cette vie a commencé de disparaître et que l’âge est venu, il s’est retranché dans la construction, tout aussi patiente que l’avait été celle de son ascension, d’une image de probité, de travail et de désintéressement. Elle lui convenait bien, et je pense que c’est ce qu’il a toujours voulu être derrière les nécessités de l’existence et l’ambition du jeune homme pressé qui avait écrit, avec les Chiens à fouetter, un bréviaire de l’arrivisme.

Il a parlé du mariage, de l’adultère, de la paternité, des voitures, des maisons, de l’égoïsme, de la lâcheté, du désir, de l’impuissance, de son métier, des amis, de l’alcool et des compromissions. La vie des hommes. Ce n’est pas un écrivain pour filles. Ses héros ont toujours eu son âge. Un jeune couple, la quarantaine, le dernier versant. Des Orphelins d’Auteuil au Bar de l’Escadrille, ils ont grandi, divorcé, vieilli et sombré avec lui. Et ils meurent avec lui ou plutôt ils sont morts quand, malade qui longtemps a joué à l’être, il est entré à Sainte-Perrine, maison de retraite d’Auteuil qui a bouclé sa boucle. Lire François Nourissier, c’est découvrir la bourgeoisie parisienne à ce moment où elle commence à vaciller sur ses bases mais se défend vaille que vaille et assez mollement contre le monde moderne.

C’est aussi lire un excellent français ; d’une certaine manière, il représente un monde disparu, à la fois par le nombre des lecteurs et la qualité de ce qu’on leur proposait. Ces gens-là y croyaient. Et si Nourissier critique savait alterner les coups de chapeau et les coups de coeur, les politesses et les emballements, s’il a joué le jeu plus que personne, il n’a jamais joué à l’écrivain. Il en était un, comme il était un grand lecteur. Ce qu’il préférait, c’était les livres. Lui parti, il ne reste rien de cette génération qui aimait les livres et d’abord les lisait.

Stéphane Denis, Valeurs Actuelles, 24/2/2011.
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MessageSujet: Re: Mort de François Nourissier   Mort de François Nourissier Icon_minitimeVen 25 Fév 2011 - 17:21

François Nourissier, la confession du soir

Longtemps "mandarin" des lettres françaises, membre depuis 1977 de l'académie Goncourt dont il fut le président de 1996 à 2002, François Nourissier est décédé mardi 15 février à l'âge de 83 ans. Il avait démissionné de l'académie en 2008 en raison de la maladie de Parkinson dont il souffrait. De "L'Eau grise" (1951) à "Eau de feu" (2008), il laisse une trentaine de livres parmi lesquels "Un Petit Bourgeois" (1964), "Une histoire française" (1965, Grand Prix du roman de l'Académie française), "la Crève" (1970, prix Femina), "En avant calme et droit" (1987). A l'occasion de la parution de son livre "À défaut de génie" (« livre testamentaire, à la fois pathétique et fascinant »), Bruno de Cessole avait publié le 21 avril 2000, dans "Valeurs actuelles", ce portrait de l'écrivain en préambule duquel il écrivait : « Revisitant son passé, François Nourissier illustre la formule selon laquelle la littérature est du chagrin tempéré par la syntaxe. »

Quand un écrivain occupe continûment la scène depuis près d’un demi-siècle, quand il s’est si souvent mis à table, entremêlant dans ses livres l’autobiographie et la fiction, que ses lecteurs ont l’illusion de le connaî­tre comme un proche, comment imaginer qu’il puisse encore nous surprendre ? Quand les fonctions qu’il exerce et les honneurs dont il est accablé l’ont promu arbitre ou “parrain” de la vie littéraire française, comment croire qu’il ose courir le risque d’enfin manger le morceau, de dire toute la vérité, rien que la vérité, sur lui-même et le sérail dont il est toujours, quoique déclinant, le puissant vizir ?

Ce défi, François Nourissier le relève dans son dernier (?) livre, avec une hargne vengeresse, une jubilation douloureuse, qu’on n’attendait pas ou plus. Comme si, enfin délesté de l’espoir et affranchi de la crainte, il avait décidé de bat­tre sur le terrain de la sincérité dérangeante, des vérités pas bon­nes à dire, Rousseau et Stendhal, Constant et Amiel, Léautaud et Jouhandeau, ces champions de la confession impudique, de l’introspection tourmentée. Certes, l’auteur du Musée de l’Homme nous avait déjà mis au parfum ; nous n’ignorions rien de son penchant au dénigrement de soi, de sa dilection à être ensemble la plaie et le couteau, de ses réactions nauséeuses, souffreteuses, devant « l’étrange maladie de vivre ».

Qu’il ne s’aimât point était même l’un des rares motifs qui eussent pu nous rendre sympathique cet onctueux prélat de la littérature, ce Père Joseph des coulisses et des arcanes, dont le regard voilé de cocker triste et la barbe dostoïevskienne semblaient dissimuler quelque trouble secret. Pour autant, la mise à nu de l’animal humain telle qu’elle se donne à voir tout au long des six cent soixante pages d’À défaut de génie fait paraître fade et prudent l’exercice de dépréciation de soi du Musée de l’Homme.

Celui qui bat sa coulpe en public et se couvre la tête de cendres, comment ne pas le suspecter de chercher à se rassurer en allant à la pêche aux compliments ? Après tout, quel admirable parcours de steeple, à la fois social et littéraire, que celui de François Nourissier, “petit bourgeois” devenu grand, écrivain pour happy few couronné par les honneurs, présidant aux débats de l’académie Goncourt, tranchant du beau et du vrai dans les colonnes de la grande presse ? En apparence, une éclatante réussite, un rêve fitzgéraldien d’agrégation à la caste des heureux de ce monde.

Et pourtant… De l’échec ou de la réussite de sa vie, qui est le seul bon juge fors soi-même ? À lire le dernier Nourissier tout laisse à penser que cette brillante façade masque un paysage de défaites et de ruines dont l’écrivain s’est intronisé le conservateur. À défaut de génie : le titre annonce d’emblée la couleur, celle, grisâtre, du doute et d’une orgueilleuse humilité. Dans les premières pages de son livre, François Nourissier confie : « Enjoliver ne paraît savoureux qu’aux petits appétits ; revendiquer, orgueilleusement, ce qu’il est habituel de cacher est autrement plus épicé. Quel beau feu allumé en mangeant le morceau ! Désobligeante, difficile à avouer et à formuler, la vérité est une drogue : pourquoi en refuser l’ivresse ? »

C’est peu dire que l’auteur se refuse l’ivresse de la vérité, le dévoilement de son misérable petit tas de secrets. Il s’y ébroue avec une volupté amère qui ne laisse pas de mettre son lecteur mal à l’aise, voyeur malgré lui, contraint d’assister au strip-tease d’un acteur (et quel écrivain ne l’est pas, peu ou prou ?) vieillissant, qui n’a pas fait la paix avec sa conscience, qui exhibe ses difformités et qui gratte ses plaies purulentes sous le regard à la fois vaguement dégoûté et fasciné de son public. Quel règlement de comptes que ce livre ! Quel impitoyable procès dont l’auteur est ensemble l’accusé, le témoin à charge et l’acharné procureur !

Un tableau corrosif de la grisaille bourgeoise

Sur le banc d’infamie viennent comparaître tout d’abord le milieu et la famille de l’auteur. Dans son obstination à noircir le tableau, François Nourissier crayonne au fusain un portrait presque caricatural du ghetto petit-bourgeois dont il est issu et dont il ne s’est libéré qu’en le nommant.

Pourtant, rien de honteux, rien que d’avouable dans cette lignée provinciale de l’est de la France qui fournit douze générations de potiers de terre jusqu’au père de l’auteur, exploitant forestier et ancien combattant de la Grande Guerre, par qui la famille accède au statut bourgeois et à la banlieue parisienne. « De cette grisaille française, avec ses patiences et ses secrets minuscules, de cette race dure au travail et sûre de son droit », l’auteur parle sans tendresse : « À crever de tristesse tout cela. (…) J’ai des renvois de passé, comme on en a quand ne passe pas un plat. En un demi-siècle je n’ai pas digéré ma jeunesse. On ne guérit pas d’elle en glissant du gris au doré… »

Regardant par-dessus son épaule, un doute le harcèle : a-t-il mérité le changement de son état social, « les quelques échelons, les quelques galons, les quelques salons, visités, conquis, grimpés » ? Au bout du compte le verdict tombe : « On ne change jamais de milieu – tout au plus vit-on dans un autre que le sien. On campe à la lisière. Car sitôt le seuil franchi, on devient le gardien des portes que l’on a forcées. »
Sur les degrés de l’échelle sociale qu’il a gravis, sur la parade mondaine à laquelle il a participé, sur le milieu huppé et cosmopolite dans lequel il est entré, François Nourissier jette un regard non moins désabusé, non moins féroce, que sur la mesquinerie de son estoc originel.
Sur la littérature et le sérail littéraire, même absence d’illusions, comme en témoigne le chapitre consacré à l’un des maîtres de sa jeunesse, Montherlant, et à la célèbre Lettre d’un père à son fils qui marqua si fort sa jeunesse, ou les pages qui évoquent son métier d’éditeur et les maisons où il exerça ses dons de lecteur et de flaireur de talents.

Quant à ses propres dispositions littéraires, Nourissier confesse que, se sachant incapable d’écrire des chefs-d’œuvre, de ces textes ­inoubliables susceptibles de résister au temps, il a offert sa vie aux livres et des livres à sa vie. Etre écrivain fut à ses yeux une certaine façon de vivre, de cohabiter, à défaut de l’exorciser, avec son mal-être. Petite consolation : parmi les grandes pointures qu’il lui fut donné d’approcher – Aragon, Morand, Mauriac, Montherlant, Chardonne… –, rares sont celles qui lui semblent justiciables du mot “génie”. « Aucun, à l’exception, peut-être, de Claudel, n’a laissé derrière lui une ombre plus longue que n’était son corps. (…) Il faut s’attendre à ne laisser rien. »

Remplies de livres jaunis, aux titres oubliés, les bibliothèques se targuent en vain d’une longévité qu’elles pourraient envier aux forêts.
La société, la famille, les honneurs, la littérature même, renvoyés à leur insignifiance, à leur duperie essentielle, Nourissier s’attaque au morceau de choix : lui-même. C’est ici que le lecteur éprouve quelques réticences à suivre l’auteur dans sa guerre civile et intime. Que l’on soit ou non d’accord avec les jugements portés sur la société française et l’histoire du “cher et vieux pays” (quelle acidité dans les pages sur la France des années trente et quarante, celle du chanteur Mayol, de Maurice Chevalier et du Picon-bière !), les chapitres que Nourissier leur consacre n’inspirent nulle gêne.

Il n’en est pas de même, en revanche, de ceux, plus fournis, qu’il nous inflige sur sa personne physique et morale, ses faiblesses et ses fiascos, ses hontes et ses remords, son égoïsme et sa veulerie. Atroces, les passages sur la disgrâce de l’âge, sur les avatars d’un corps qui oscille entre l’enflure et le dégonflage, nauséeuse ou (au choix) d’une autodérision comique la description clinique des misères sexuelles, l’inventaire des déroutes sentimentales d’un ancien combattant de la guerre aux femmes.

Au vrai, François Nourissier, à l’en croire piètre amant, mauvais mari, père défaillant, écrivain médiocre, n’épargne rien à son lecteur, qui, par moments, pourrait se croire dans le cabinet du médecin, le confessionnal du prêtre ou l’antre du psychanalyste. De la part d’un écrivain si typiquement français, dont les écrits, même autobiographiques, se ­gardaient de l’exhibitionnisme que pratiquent tant de scribouillards contemporains, ce déballage intime, ce règlement de comptes avec soi-même, ne laissent pas d’étonner.

La raison de ce qui ressemble tantôt à un inventaire avant fermeture, tantôt à une “leçon de ténèbres” ? Nourissier, renouant avec la tradition classique de la litote, la nomme « Miss P ». Le lecteur aura de lui-même rétabli le nom de cette maladie qui bouleverse l’existence de l’écrivain, fait trembler sa main, vaciller son corps, bredouiller sa voix, et qui le retranche peu à peu de la société et de la vie.

L’amertume ravageuse d’un bilan crépusculaire

Prisonnier de cette impitoyable geôlière, assigné à résidence dans son malheur, voici un homme de mots condamné à l’aphasie, une main à plume bannie de son écritoire. On comprend, du coup, la hargne terrible, l’amertume ravageuse qui hantent ce bilan crépusculaire d’une vie. Alors qu’au bord de l’écœurement on était tenté de planter là Job Nourissier sur son fumier, de le laisser repriser seul le linceul de l’Ecclésiaste et rabâcher l’antienne du vanitas vanitatum et omnia vanitas, nous voici empoigné par ce sacré bouquin, par la beauté abrupte, dévastée, d’une écriture qui balaie les artifices de la rhétorique, les ruses de la narration, les pleins et les déliés du “beau style”, pour se confondre avec la vérité d’un homme.

Jamais l’écrivain Nourissier n’a été meilleur que dans cette cérémonie des adieux qui le consacre membre à part entière d’une confrérie dont les hérauts se nomment Benjamin Constant et Pierre Drieu La Rochelle, Louis Guilloux et Pierre-Jean Jouve. Et jamais l’homme, caméléon velléitaire, notable de façade et irrégulier de cœur, balançant sans cesse entre l’ordre et le désordre, la fidélité et l’inconstance, le respect des convenances et la tentation de l’aventure, n’a mieux retourné l’idée que l’on se faisait de lui et inversé les sentiments qu’il inspirait. A la manière des samouraïs, l’auteur d’A défaut de génie transmue, de main de maître, une faillite en triomphe, une défaite en victoire. Chapeau, l’artiste ! Bruno de Cessole

À défaut de génie, de François Nourissier, Gallimard, 666 pages, 145 francs.

Valeurs Actuelles, 16/2/2011.
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MessageSujet: Re: Mort de François Nourissier   Mort de François Nourissier Icon_minitimeVen 25 Fév 2011 - 17:34

François Nourissier L'aventurier du dedans


Pendant trente ans, il a fait aimer la littérature aux lecteurs du « Figaro Magazine ». Ecrivain de grand talent, juré Goncourt de 1977 à 2008, le « pape des lettres françaises » est mort cette semaine à 83 ans. Avec lui disparaît un classique.

Et voilà, ça y est : depuis le temps qu'il en parlait, de sa mort, elle a fini par l'emporter. Elle lui tournait autour depuis le dimanche 17 novembre 1935, vers cinq heures du soir. Ce jour-là, son père, qui l'emmenait au cinéma pour la première et dernière fois, est mort assis à côté de lui. François Nourissier avait 8 ans, son père 44. Mort ce mardi 15 février à presque 84 ans, il aura donc tenu quarante ans de plus que son père : une sacrée prouesse. Comment ne pas songer à la boutade tirée du journal de Jules Renard qu'il avait placée en exergue d'un de ses plus beaux livres, Bratislava (1990) ? «J'aurai connu longtemps le plaisir de m'éteindre.»

Né à Paris en mai 1927, François Nourissier a mâché le travail de ses biographes : il s'est enterré souvent. «Je ne suis pas fier de ma vie. Je ne m'aime pas. Je n'aime pas ma vie» (Un petit bourgeois). «Ecrivains vieillissants, avec leurs baises comme avec leurs tirages: en rajoutant toujours un peu» (Bratislava).

Ce qui me plaisait chez lui, c'est le contraste entre l'homme et l'œuvre. L'homme avait une image entièrement fausse de vieux notable, de barbon onctueux, machiavélique, de vieux manipulateur, marionnettiste du prix Goncourt, de chroniqueur influent au Point et au Figaro Magazine... Il suffit d'ouvrir ses livres pour découvrir quelqu'un d'autre. Horriblement sincère, d'une violence impardonnable envers lui-même, un styliste maniaque de la clarté et un humoriste plus noir que son maître Jerome K. Jerome. Son œuvre autobiographique est une des plus profondes, des plus belles, et des mieux ciselées de l'histoire de la littérature française. Un petit bourgeois (1963) et Le Musée de l'homme (1978) sont des classiques. A défaut de génie (2000), un chef-d'œuvre de mémorialiste. Et Bratislava... Bratislava, la ville où il fut si heureux de fêter ses 20 ans à l'été 1947, est sa Fêlure : «Je me souvenais de souvenirs -autant dire de rien.» Le grand problème de François Nourissier fut d'être François Nourissier. Cela, il ne l'a jamais accepté : c'est tout le sujet de son œuvre. Il aurait aimé être quelqu'un d'autre (ses amis Aragon ou Chardonne ? Benjamin Constant ? Rousseau ou Montaigne ?) : «Les hors-la-loi de la première personne, les innocents de l'aveu.» Cela faisait cinquante ans que François Nourissier vomissait sur son reflet. Dès la dernière phrase de son premier roman, L'Eau grise- «La vie ne rebondit pas, elle coule»-, la messe était dite. Nourissier aurait pu ressembler à la méchante reine de Blanche-Neige si elle s'était injuriée devant sa glace : «Miroir, mon beau miroir, suis-je toujours la plus moche du royaume?»

C'était Cioran dans un fauteuil Louis XVI

Après un début pamphlétaire (en 1957, Les Chiens à fouetter étrillaient le carnaval des lettres), Sisyphe Nourissier a gravi tous les échelons de la gloriole académique : il poussait son rocher afin de le regarder dévaler la pente. C'est fou ce que la trouille peut motiver un être humain. Mais elle ne guérit jamais. Toutes ses consécrations (grand prix du roman de l'Académie française pour Une histoire française en 1965, prix Femina pour La Crève en 1970, président de l'Académie Goncourt de 1996 à 2002) n'ont jamais réussi à le rassurer complètement. François Nourissier n'a pas attendu miss Parkinson pour commencer à trembler : «On remonte ensuite dans sa chambre, on s'installe devant la page commencée et l'on écoute en soi des bruits de délabrement» (Un petit bourgeois).

Nourissier, c'était Cioran dans un fauteuil Louis XVI. «De vieilles maisons, de vieilles vies: voilà mon décor.» En lisant cette prose brève et lucide, d'une impitoyable cruauté, on ne peut qu'incliner au respect et céder à l'émotion. C'est un dinosaure qui s'éteint, c'est Jurassic Nourissier qui, cette fois pour de bon, tire sa révérence. Il faut se rendre à l'évidence : on ne lira plus beaucoup d'auteurs comme celui-ci. On n'aura plus le temps, il n'y aura plus de gens comme Nourissier pour peaufiner doucement des pages cruelles sur la bourgeoisie française, ni de nouveaux lecteurs pour s'y intéresser. Une beauté crépusculaire se dégage de ses paragraphes tirés à quatre épingles, et l'on se sent happé par le mystère de cet homme qui se détestait tellement qu'il en a fait un des plus sensibles autoportraits du siècle. «Tout me faisait rougir: la timidité, la colère, le désir, le plaisir, les gâteaux, le vin blanc, le rouge, le rose, le cognac, les humiliations, les sauces, le sport, les victoires, les regards, l'appel de mon nom, les rencontres inopinées, les bouffées de la mémoire.» (Un petit bourgeois, encore).

Un modèle de critique: généreux mais tordu

Je dois tant à Nourissier, et pas seulement d'avoir hérité de son feuilleton littéraire dans ce magazine. Il m'a enseigné cette sécheresse qui décuple l'émotion. Il fut un modèle de critique : généreux mais tordu, curieux et ambigu, calculateur mais capable d'enthousiasme. Toujours ouvert, bien que très snob, blasé mais dopé aux amphétamines !

A ma connaissance, son unique accès de lyrisme tient dans ce paragraphe d'Un petit bourgeois : «Seule une distraction toute-puissante me permet de vivre. Nous dévalons une pente, pressés par des ombres, entourés d'inconnus, la tête pleine de nuages, les yeux fermés, sans nous être jamais expliqués, les yeux fermés, les yeux fermés.» Cette répétition des «yeux fermés» résonne étrangement à présent qu'ils le sont pour toujours, comme un appel au secours qui rebondirait dans les catacombes de l'oubli.

Frédéric Beigbeder, le Figaro Magazine, 21/2/11.
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