Victor Hugo a écrit Choses vues, beaucoup d’écrivains pourraient écrire Choses bues et la plupart devraient écrire Choses tues. En 1963, André Maurois publie Choses nues, recueil de simples notes prises entre 1929 (l’enterrement du maréchal Foch) et 1962, où il évoque la fin du monde avec Gabriel Marcel. Avec Maurois, en tout cas, ce n’est jamais la fin du beau monde. On le voit papoter avec Paul Valéry, Aristide Briand (qui lui parle vers 1928 – déjà ! – de son projet de fédération européenne), Luigi Pirandello, qui lui explique pourquoi le mariage est impossible ; mais encore Michel Debré, Giraudoux, Daladier, Pétain, Blum, Churchill et la reine d’Angleterre ; Charlie Chaplin, Orson Welles, Peter Ustinov.
C’est intéressant, toujours, amusant, souvent, et poignant, parfois. Comme de regarder de vieux journaux ou des photos d’autrefois. Rien ne vaut la spontanéité de ces notes désintéressées, écrites sans souci de publication, comme documentation pour un roman qu’il n’écrira jamais. Ce roman se dessine quand même : la vie quotidienne d’un écrivain au XXe siècle, à une époque où les écrivains étaient encore pris, en France, pour des gens importants. Quand ils se retrouvent entre eux, ils parlent de Proust et de Dumas (quand ceux d’aujourd’hui citent Ardisson et Fogiel), se demandent s’il vaut mieux être marié ou célibataire (on divorçait peu) et ont hâte de se quitter pour se remettre au travail. A noter, deux textes vraiment drôles : l’un sur l’arrivée du conférencier, l’autre sur l’assassinat de Paul Doumer.
Stéphane Hoffmann, le Figaro Magazine du 2 juillet 2005.