Propos insignifiants
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 Une fête en larmes de Jean d'Ormesson

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LP de Savy
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MessageSujet: Une fête en larmes de Jean d'Ormesson   Une fête en larmes de Jean d'Ormesson Icon_minitimeVen 2 Sep 2005 - 23:20

Le comte est bon

Une fête en larmes
de Jean d'Ormesson

Par Philippe De Saint-Robert
[01 septembre 2005] Le Figaro

En 1989, Jean d'Ormesson écrivait une Biographie sentimentale de Chateaubriand (1) dont, en exergue à Une fête en larmes, on pourrait extraire ce passage : «Ce qu'il y a de plus redoutable chez Chateaubriand en particulier, et chez les écrivains en général, ce n'est pas leur suffisance, leur égoïsme ou leur indifférence à tout ce qui n'est pas leur oeuvre : c'est que le chagrin et la souffrance leur sont encore un aliment et que le bien et le mal, chez eux, ne se distinguent pas l'un de l'autre.»


Ses propres «Mémoires d'avant-tombe», Jean d'Ormesson ne cesse de les écrire, de les revoir, de les peaufiner depuis Du côté de chez Jean, Au revoir et merci (2), ou ses entretiens avec Emmanuel Berl, François Sureau, et maintenant cette journaliste imaginaire (je suppose) qu'il nomme Clara Sombreuil et dont il feint, sans nous convaincre, qu'elle le dérange dans son rôle, désormais installé, de vieux sage. Car Jean d'Ormesson semble avoir décidé de se complaire dans un rôle de gourou occidental, certes «catholique et français toujours», mais avec des nuances de relativisme auxquelles Benoît XVI, pour l'absoudre, devra faire une exception d'indulgence.


La littérature de Jean d'Ormesson n'est pas seulement distrayante, elle est reposante ; il n'est pas, comme Montherlant, un écrivain tendu, ni, comme Chateaubriand lui-même, pathétique, bien qu'il lui semble traverser une époque aussi bouleversée que celle de l'Enchanteur ; il va même jusqu'à saluer l'oeuvre de Charles de Gaulle et, d'une façon peut-être un peu convenue, celles de Sartre et d'Aron, que la superficialité du moment mélange si volontiers. En revanche, les philosophes pour «grandes surfaces» qui pullulent dans l'air actuel du temps, du type Michel Onfray, ne sont pas son fort. On peut être gai et sérieux.


Ne vous laissez pas prendre au tic d'éditeur qui annonce cette Fête en larmes comme un roman, sauf bien sûr que ce semblant d'autobiographie dialoguée est subtilement romancé, un jeu de miroirs. Ce qu'il faut pour bien écrire, c'est avoir beaucoup de souvenirs d'enfance, que transforme allégrement l'illusion des bonheurs perdus, et aussi beaucoup de souvenirs de voyage, qui cèdent aussi à l'embellissement pour la joie du rêve qui nous fait venir les larmes aux yeux, comme font tous les souvenirs de ce qui ne reviendra jamais.


La bénévolence incorrigible de Jean d'Ormesson, qui ne l'a certes pas empêché de faire souffrir les femmes comme l'Enchanteur, et qui fait qu'il n'attire jamais la méchanceté, ne l'empêche nullement de brocarder, ici et là, par exemple, le nouveau roman («Comme l'existentialisme, le nouveau roman était un totalitarisme. Le plus amusant était que l'entreprise, qui se réclamait d'une rigueur et d'une hauteur exemplaires, nourrissait un goût immodéré pour la publicité et mettait des dons réels au service de cette vulgarité importée d'outre-Atlantique sous le nom de marketing... Le nouveau roman était une affaire qui roulait et entraînait derrière elle, à défaut de lecteurs, une foule bruyante de snobs éblouis et de thuriféraires médusés»), ou le milieu journalistique dont Clara Sombreuil lui semble la midinette de charme au savoir limité : «Je vous dois un aveu, lui dit-il : je suis un ennemi de la géopolitique, de la psychologie des peuples, des tableaux d'ensemble, de tout ce que nous lisons à longueur de journée d'intelligent et de boursouflé dans vos hebdomadaires et vos quotidiens. (...) Les pays étrangers, les relations internationales, la politique en général, l'évolution des moeurs et la situation du monde sont du gâteau pour les pompeux, les bavards, les professionnels de la comédie grave.» Bref, il nous fait comprendre qu'un journaliste, à ses yeux, ça ne sait rien ; qu'il faut tout lui expliquer.


Depuis un certain temps, notre homme tient des propos désabusés sur la postérité, sur le roman, sur l'avenir des lettres, sur la désolation de «cette langue française en train de décliner après avoir régné trois siècles sur le monde». «Je voulais être libre, dit-il à son interlocutrice qui s'inquiète qu'il ait tourné le dos tant à la diplomatie qu'à la politique, et me promener dans le monde». D'où, je pense, son goût pour Homère, qui n'est plus courant. De cette chasse au bonheur dont il eut, d'où il parlait, les moyens : «Je n'ai jamais caché d'où je parlais. Je suis né dans un château, ma famille est catholique, j'ai passé des concours, j'ai vécu au milieu d'écrivains, j'ai souvent rêvé d'être un intellectuel juif, je fais la différence et je n'établis pas de hiérarchie entre un Arabe et un Bourguignon. (...) Je suis resté fidèle à mes rêves de jadis. J'ai toujours aimé une vie menacée par la mort. J'ai toujours aimé le soleil, la mer, l'ailleurs, les lointains, les mots brefs, ne rien faire, la mélancolie, le plaisir et le rêve. Je les aime toujours (...) Aujourd'hui comme hier, je me méfie des grands mots et des sentiments affichés...»


Quant à la mort, c'«est un secret qu'aucun de nous n'ignore, mais qu'une grâce inconnue nous permet à chaque instant de nous cacher à nous-mêmes». Suivent des digressions philosophiques sur l'être et le temps, déjà largement épanouies dans Presque rien sur presque tout : l'influence de Bergson ?


Cette promenade au bord du lac de nos souvenirs n'aurait aucun sens sans la rencontre des êtres, mais ne se confondent-ils pas dans la mémoire ? «Quand j'ai revu Marie, toujours blonde, toujours éclatante de beauté, toujours sombre et silencieuse, parmi les assistants de cette conférence de Yale où ma vie a basculé et dont j'ai tout oublié parce que Marie était là, j'ai su aussitôt qu'il était inutile d'essayer de lutter contre cette déesse cruelle, peut-être imaginaire et pourtant toute-puissante, que nous appelons la passion.» Il est permis de penser que, pour Jean d'Ormesson comme pour son cher François-René, «ce qu'il y a de plus incompréhensible dans l'amour, ce ne sont pas ses crimes, mais ses erreurs». Marie, dans cette évocation, est probablement toutes les femmes de la vie, l'éternel fantôme de la Sylphide, comme pour le vieil ambassadeur rejoignant son poste à Rome, Pauline de Beaumont et Léontine de Villeneuve (l'Occitanienne) confondaient dans son souvenir toutes femmes de sa lourde vie, dans le secret d'un coeur trop grand pour être jamais satisfait, et dont toute fête finissait par des larmes....

(1) Ed. J.-C. Lattès

(2) Ed. Gallimard
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LP de Savy
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MessageSujet: Re: Une fête en larmes de Jean d'Ormesson   Une fête en larmes de Jean d'Ormesson Icon_minitimeDim 4 Sep 2005 - 23:26

La chronique littéraire

Lettre d’été à Jean d’Ormesson

de François Nourissier de l'académie Goncourt
[27 août 2005] Le Figaro Magazine

Cher Jean, nous arrivons à la mi-août et me voici en train de t’écrire une lettre d’été. Tu publies un roman le 22 août et moi un non-roman cinq semaines plus tard. Tu te feras, j’en suis sûr, un plaisir – et pas seulement un devoir ! – de le lire. Chez moi, le sens du devoir l’emporte encore, parfois, sur la curiosité : moins sage que toi, je suis resté un forçat de critique littéraire.
Prison non pas dorée – Dieu sait ! – mais au charme sans doute émouvant puisque j’ai toujours aimé les livres, les « nouveautés », la « rentrée »… depuis plus d’un demi-siècle.
A la veille du 15 août, il y a vingt ans, un journal de bord trouvé en fait foi, nous entrions dans la baie de Fethiyé à bord d’un ketch de 22 mètres qui nous donna bien du plaisir. Ces plaisirs-là me manquent, comme ceux de la neige, ceux des randonnées, des infinies conversations de Corse et de Venise… Ah, décidément, personne n’écoute mes conseils. Je l’ai assez dit : ne vieillissez pas !
J’avoue : je me suis laissé surprendre. « Explorez la tête du vieil écrivain » : la perspective n’est pas des plus excitantes. C’est ici qu’intervient ton vingt-cinquième livre, Une fête en larmes. (C’est bien un titre à ta façon ! Flamboyante nostalgie, années grises, résistance au temps : qui l’emportera, Jean qui pleure ou Jean qui rit ?)
On écrit tous, toujours, le même livre. Heureusement ! Quelle galère si l’on devait, à chaque fois, tout réinventer ! Respectons la règle du « flux tendu » : pas de stock. Réinventer l’astuce, le procédé – pardon : le « mode narratif » –, suffira bien. Je ne sais avec qui j’ai rendez-vous, mais comment et où ? Rue d’Ulm ? A Rome ? A Plessis-lez-Vaudreuil ? Dans la peau de l’incontournable vicomte ou dans celle du millionnaire régicide ? Qui parle ? Jean, toi, mais à qui ? Il faut aux conteurs virtuoses une cheminée pour se brûler les fesses et un bon public pour faire briller les yeux – de plaisir ou de larmes… Cette fois « Clara » fera l’affaire. Vingt ans, de longues jambes, une inculture d’époque.
Elle sait deux ou trois choses murmureras-tu, généreux. A qui raconter sa vie, sinon à une petite humaine tout juste fleurie, attentive, amusée par l’Illustre ? Cher Jean, tu sais beaucoup plus de choses que Clara n’en ignore. Relation idéale ! Tout au long de ce récit capricieux, plus désenchanté que séducteur (mais bien sûr, le désenchantement fait partie de l’arsenal de Don Juan), on se dit : comme il est habile, cet indifférent, passionné, ce froid, irrésistible cet homme à la mémoire farceuse et négligente ! Je me suis surpris, cette fois, à rêver à tes autres vies possibles. Si tu n’étais pas né avec la fameuse cuiller d’argent, fortifié de courtoisie, blindé de préjugés, illuminé d’élégance, quelle eût été ta vie ? Je te rêve en grand pédagogue, en prof narquois mais attentif. Sans château, sans habit rouge pour suivre les chasses (comme ton narrateur), tu aurais été (j’imagine, j’invente !…) un prof de rêve ! C’est-à-dire, à la fois, celui qu’on regrette tout une vie parce qu’il vous a appris à préférer la vie rêvée à la vraie vie, à la plate, à la grise. Le fantôme du jeune homme que tu fus hanterait les couloirs de l’Ecole normale et le quartier du Panthéon. J’ai écrit, cher Jean, en italique, le titre du livre d’un homme que nous aimions beaucoup – François-Régis Bastide : la Vie rêvée. Au fond, tu as rêvé la tienne et nous savons bien que la qualité d’un homme tient dans cet espace entre chimères et mémoire.

Jean d’Ormesson, Une fête en larmes, Robert Laffont, 350 p. 20 €.
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