Propos insignifiants
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 Une biographie est-elle une enquête de police ?

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LP de Savy
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Date d'inscription : 06/04/2005

Une biographie est-elle une enquête de police ? Empty
MessageSujet: Une biographie est-elle une enquête de police ?   Une biographie est-elle une enquête de police ? Icon_minitimeDim 18 Sep 2005 - 0:01

Michel Houellebecq :

http://homepage.mac.com/michelhouellebecq/Ecrits/mourir.html

23 août 2005. 3 heures du matin.

Oui, ça suffit ; pourtant il le faut, une dernière fois : parler de ma mère. Hier soir j’ai lu sur Internet quelques pages d’une biographie qu’un journaliste appelé Demonpion m’a consacrée, et qui sort ces jours-ci. Il y a certains points, dans ma vie, qui restent pour moi un mystère, sur lequel j’aurais aimé avoir des éclaircissements. Par exemple celui-ci : pourquoi ai-je, quittant l’Algérie en 1962, été envoyé chez ma grand-mère paternelle (Houellebecq) au lieu de rester avec ma grand-mère maternelle (Ceccaldi) ? Peu de gens le savent, et la lecture des quelques pages reproduites sur Internet le montre avec évidence : Demonpion n’a réussi, sur ces années obscures, à obtenir qu’un seul témoignage : celui de ma mère, qui a toutes les raisons de mentir, pour cacher les raisons réelles - en général passablement peu ragoûtantes, par l’égocentrisme absolu dont elles témoignent - de ses actions. Plus intelligente et plus motivée que Demonpion, elle n’aura eu aucune difficulté à le mener en bateau.

En lisant le passage où elle relate notre dernière rencontre, j’ai retrouvé ses méthodes habituelles de travestissement, qui ne témoignent d’aucune imagination : elle procède simplement par translation et inversion, redistribution des rôles. Ainsi, notre dernière entrevue a effectivement eu lieu avec mon fils, et la brouille a en effet porté sur la première Guerre du Golfe, où ma mère défendait férocement Saddam Hussein. Sauf que c’est mon fils qui dépendait la position américaine, et non pas moi, et que c’est bel et bien leur conversation qui, en s’envenimant, a provoqué la rupture. Son “plutôt sympa, le petit-fils” lâché dans la conversation avec Demonpion m’a presque arraché un sourire, disons un rictus.

La première Guerre du Golfe, je me souviens que j’étais “plutôt contre”, mais je serais bien en peine de me rappeler pourquoi. Je me souviens que la veille, passant boulevard du Temple, je m’étais joint en badaud, avec mon fils, à une manifestation d’opposants à la guerre. Je savais pourtant qu’il était plutôt pro-américain, mais on s’était bien amusés - il faut dire que c’est amusant, une manifestation, il y a une espèce d’enthousiasme, inhabituel.

Ce que je devais découvrir au cours de cette conversation avec ma mère, c’est qu’il était farouchement pro-américain, et qu’il avait développé, en y réfléchissant seul dans son coin, une argumentation très complète ; sa pugnacité intellectuelle m’avait même stupéfait - après tout il n’avait que dix ans, et il avait tenu tête, sans faiblir, à la vieille. J’ai peut-être mis un peu d’huile sur le feu, vers la fin, par quelques attaques anti-islamiques, mais c’était superflu, c’était déjà suffisamment âpre sans que j’intervienne, au fond je ne me souviens pas bien de ce que j’ai pu dire. Ce dont je me souviens par contre c’est d’avoir senti, de plus en plus nettement, au cours des minutes, grandir l’espoir que cette dispute imprévue allait peut-être déboucher sur un résultat inespéré : établir les conditions d’une brouille définitive entre moi et ma mère, mettre enfin un terme à ces visites espacées (une fois par an tout au plus) dont je comprenais de moins en moins la raison d’être tant il était clair qu’elle détestait ma femme, qu’elle n’éprouvait aucun intérêt pour son petit-fils et que nos relations à tous les deux étaient faites d’un mélange de non-dit et de rancoeur qui n’avait aucune chance de pouvoir se dissiper. Il est possible, les pages reproduites sur Internet semblent l’indiquer, que son véritable objectif en me rendant visite était l’espoir de pouvoir, un jour, me taper de l’argent ; mais c’était tellement grotesque, tellement incongru compte tenu de ma situation financière de l’époque, compte tenu aussi des masses de fric incroyables qu’elle avait pu gagner et dilapider tout au long de sa vie , que je ne crois même pas avoir clairement assimilé l’information.

Toujours est-il qu’en me levant pour partir,avec mon fils, je savais que je ne reverrais jamais ma mère ; et j’en tressaillais de joie. J’étais un peu tendu, superficiellement, les disputes violentes me font toujours cet effet ; mais après quelques minutes de marche j’ai vraiment senti que j’étais en train de vivre un grand moment - lumineux, libératoire, paisible. Je suis toujours resté reconnaissant à mon fils de l’avoir provoqué.

Ce moment de rupture en quelque sorte officielle, en tout cas clairement comprise et assumée de part et d’autre, ne s’est jamais produit avec mon père ; ce qui fait que je ne sais toujours pas si je le reverrai avant sa mort. Il y a, je crois, tout de même assez peu de chances.

24 août 2005. 6 heures du soir.

Après avoir réglé - sans y consacrer, j’espère, plus d’espace qu’ils n’en méritent - le cas de mes parents, je vais maintenant pouvoir me tourner vers la biographie, qui doit sortir dans quelques jours, et qui m’a été consacrée par le journaliste Demonpion. Ce sera, je pense, encore plus bref. Certes je ne l’ai pas lue, mais pour ce que j’ai à dire ça n’a pas d’importance.

Lorsque l’individu m’a pour la première fois informé de son projet, j’ai d’abord eu l’idée d’écrire une brève autobiographie, de mon côté, quelque chose qui réglerait rapidement la question ; mais je n’avais pas du tout terminé “La possibilité d’une île” à l’époque, j’ai mis le dossier de côté.

Mon roman une fois terminé j’y ai repensé, vaguement, et je me suis vite rendu compte que l’exercice serait assez fastidieux. C’est alors qu’une idée m’est venue, que je continue à trouver éblouissante. Je laisserais Demorpion écrire sa biographie, enquêter, etc., puis il me remettrait son manuscrit terminé. Je le lirais, puis j’y rajouterais des notes de bas de page. Je n’interviendrais en aucune manière sur le texte de l’auteur, mais lui-même s’engageait à un respect total pour mes notes. On obtiendrait au final un objet curieux, ne ressemblant à mon avis à rien de ce qui a pu être fait dans ce domaine.

Le projet lui a d’abord été soumis par l’intermédiaire de Raphaël Sorin ; il a demandé à y réfléchir. J’ai alors envoyé un e-mail à Demorpion pour mieux lui expliquer mon idée ; comme il souhaitait absolument me rencontrer, je lui a indiqué que son acceptation était le préalable à une rencontre, et la seule chose à mon avis qui puisse lui donner un sens. Après réflexion, il a refusé ; je trouve que c’est dommage. Mon rapport aux notes de bas de page est assez paradoxal : le plus souvent elles m’exaspèrent, je trouve insupportable de couper sans arrêt la parole à l’auteur ; mais, parfois, je les dévore avec délectation. J’ai jusqu’à présent très peu trouvé à les employer dans mes propres livres, alors que j’ai tout de suite, et très facilement, su manier les épigraphes ; mais, à chaque fois que je l’ai fait, ça a été une grande réussite - déjà, celle dans mon essai sur Lovecraft produit un effet réellement spécial. J’aurais bien aimé essayer sur une plus grande échelle, et ma propre vie me paraissait un matériau idéal.

Par la suite, je me suis désintéressé du projet de Demorpion; il n’est pas du tout vrai que j’ai tenté de lui “mettre des bâtons dans les roues” ; aux gens, très rares, qui m’ont consulté pour savoir s’ils devaient, ou non, témoigner, j’ai demandé de ne pas le faire ; mais je n’ai pris aucune initiative dans ce sens.

Il n’empêche qu’hier, en fin de soirée, quelqu’un qui avait lu cette biographie un peu avant les autres m’a téléphoné ; et, là, ma propre réaction m’a surpris. Souvent, dans ma vie, j’ai su les choses dans un lieu secret, que je ne peux qualifier autrement que par l’expression banale “dans le fond de mon coeur”, avant de les savoir réellement ; parfois, j’ai pu, lorsqu’elles étaient encore dans ce lieu, les écrire avant même de les savoir; il est même possible que ce soit au fond pour découvrir ce genre de choses que j’écrive.

La seule chose que j’ai demandé à cette personne, c’est de me lire la liste des gens que Demorpion remerciait en fin d’ouvrage pour l’avoir aidé dans son “enquête non autorisée” ; la liste de ceux qui avaient collaboré, qui s’étaient “mis à table”. Et ce que j’ai découvert, hier en fin de soirée au téléphone, en écoutant cette assez longue hétéroclite liste de noms, est ce qui suit.

Jamais plus je ne pourrai considérer comme un ami quelqu’un qui s’est permis de révéler, dans un ouvrage destiné à la publication, des faits appartenant à ma vie privée, et sur lesquels je n’avais pas souhaité, au moins jusqu’à présent, écrire moi-même. Je ne pactise pas avec les serviteurs de la transparence. Ma vie m’appartient.

La seconde chose que j’ai découverte est encore plus importante, elle est d’une telle importance, et rejoint de si près les conclusions auxquelles sans rien savoir de tout cela j’étais arrivé dans “La possibilité d’une île”, que je n’arrive même pas encore clairement à l’analyser.

Tous mes amis m’ont trahi; presque tous. Ecouter la lecture de cette liste au téléphone était un moment cruel ; il ne me reste plus, à l’heure actuelle, que très peu d’amis. Pour certains bien sûr je sais que le journaliste Demonpion les remercie alors qu’ils n’ont fait que l’éconduire au téléphone ; il me faudra bien sûr mener une petite enquête,au cas par cas ; il n’empêche que le résultat est déjà, dans le meilleur des cas, accablant.

Aucun de mes amours ne m’a trahi. Absolument aucun. Aucune des femmes avec qui j’ai eu, au cours de ma vie, une relation amoureuse (et même quand cette relation s’est très mal terminée, même quand il y a eu des moments terribles) n’a accepté de témoigner. Elles ne m’ont même pas consulté ; elles ont su simplement, intuitivement, et sans l’ombre d’une hésitation, qu’elles ne devaient pas le faire. Et elles ne l’ont pas fait. Cela nous appartient.

Je n’ai pas eu, bien sûr, tellement de relations amoureuses ; mais je n’ai pas eu tellement de vraies relations amicales non plus, sans doute même un peu moins. Le résultat en tout cas est si net, si tranché (et il contraste si nettement avec les idées reçues qu’on peut se faire à la lecture des indiscrétions des magazines people) qu’il me bouleverse. Il me bouleverse au sens originel du terme, il donne à tout ce que je pouvais savoir de la vie de nouvelles bases. J’en tiendrai compte, à présent ; j’en tiendrai le plus grand com pte.

A celles qui n’ont pas témoigné, qui ont gardé ces choses parfois si dures, mais parfois si douces aussi, dans le lieu secret, je dis merci. Vous m’aviez donné beaucoup de bonheur, ou beaucoup de souffrance, ou les deux mélangés, et plus de bonheur que de souffrance au bout du compte ; vous venez maintenant de me donner aussi, par votre exemple, un très grand enseignement.
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LP de Savy
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MessageSujet: Re: Une biographie est-elle une enquête de police ?   Une biographie est-elle une enquête de police ? Icon_minitimeDim 18 Sep 2005 - 0:02

La réponse de Denis Demonpion :

A Michel Houellebecq, dont on connaît l’air et la chanson.

par Denis Demonpion

Permettez cette intrusion en réponse à la mélopée que vous diffusez sur le site http://homepage.mac.com/michelhouellebecq/ Ecrits/mourir.html sous le titre « Mourir », dans lequel vous faites référence à l’ouvrage que je vous ai consacré sous le titre « Houellebecq non autorisé. Enquête sur un phénomène » publié chez Maren Sell Editeurs, et dont Libération s’est largement fait l’écho dans son numéro du samedi 3 septembre.

A la lecture de ce texte que vous présentez comme une « autobiographie », activité pour laquelle vous dites avoir une « estime modérée », quelques observations s’imposent.

D’abord en ce qui concerne votre année de naissance. Vous affirmez ne plus savoir si vous êtes né en 1956, ainsi que je le révèle dans mon livre, ou en 1958, avançant que votre mère aurait « trafiqué » votre acte de naissance.

Sachez que lorsque j’ai mené l’enquête, vos parents, qui ont cessé toute relation épistolaire à l’aube des années 80, croyaient de bonne foi l’un et l’autre qu’ils étaient respectivement décédés. Je me suis, pour ma part, gardé de les informer sur le fait que l’un et l’autre était encore de ce monde, considérant que je n’avais pas à interférer en la matière.

J’affirme néanmoins qu’ils m’ont, chacun de leur côté, précisé que vous étiez bien né le 26 février 1956. C’est du reste spontanément que votre père a, lui aussi, mentionné cette date.

Incidemment et sans vouloir alimenter une polémique stérile et prendre parti pour un camp ou un autre, je tiens à vous préciser que je me suis efforcé autant que possible de recouper les informations vous concernant, vous et vos parents.

Vous dites refuser de « pactiser avec les serviteurs de la transparence ». Admettez toutefois que compte tenu de la notoriété qui est aujourd’hui la vôtre et que vous avez longtemps recherchée, vous faites désormais partie de ce qu’il est convenu d’appeler « le domaine public ».

Vous sachant ultraperfectionniste, je passe sur la « coquille » qui vous a fait écorcher mon nom. « Glissez mortels, n’appuyez pas », disait un sage.

Je passe également sur la sottise du propos déterministe selon lequel votre père « était réellement issu d’un milieu populaire, et aurait donc normalement dû avoir le comportement d’un beauf ».

Vous savez bien que le beauf n’est pas toujours celui qu’on croit.

Vous écrivez dans « Mourir » : « je me rends compte que je me suis fabriqué dès l’âge de quinze ans un personnage » et plus loin « le plus comique (ou le plus tragique, comme on voudra) est que j’ai finalement réussi à devenir le personnage que j’avais construit trente ans plus tôt ». Permettez-moi d’y voir une forme d’hommage à mon travail qui détaille comment vous êtes parvenu à ce tour de force passablement romanesque. Bref, j’aurai touché juste.

Pour ce qui touche à ce que vous qualifiez de « trahison » de la part de vos amis qui se seraient « mis à table », inutile de vous mettre martel en tête : aucune des personnes interrogées ne s’est exprimée sous la contrainte. Au reste, ceux qui m’ont « éconduit », comme vous dites, ont été rarissimes – un, deux peut-être, tout cela figure en toutes lettres dans mon livre.

Et bien sûr par égard pour ceux qui, par souci de discrétion, ont souhaité l’anonymat, j’ai pris soin de ne pas les mentionner.

« Il y a certains points, dans ma vie, qui restent pour moi un mystère, sur lequel j’aurais aimé avoir des éclaircissements », écrivez-vous encore dans « Mourir ». Sachez, en conclusion, que par égard pour votre intimité et celle de vos parents, je me suis abstenu de relater deux évènements, pourtant importants, vous concernant.

Je reste bien entendu à votre disposition pour en parler de vive voix avec vous. Où et quand vous voudrez.

La proposition que je vous avais faite d’un entretien demeure.

Bien à vous.

Denis Demonpion
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