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 Etretat par Benoît Duteurtre

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LP de Savy
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MessageSujet: Etretat par Benoît Duteurtre   Etretat par Benoît Duteurtre Icon_minitimeVen 14 Juil 2006 - 22:56

Plaisirs minuscules à Étretat

Par Benoît Duteurtre . (Le Figaro, 13 juillet 2006)

L'eau froide, les galets et la bise du Nord en plein mois d'août n'empêcheront jamais le vacancier de prendre un bain revigorant.


Sur le frais rivage de la Manche où la dureté des galets vous transperce les pieds, chaque séjour à la plage s'apparente à une lutte recouvrant une infinité de plaisirs cachés. Imperceptibles au premier abord, ces plaisirs minuscules sont l'un des attraits de l'existence du Parisien en vacances à Étretat. Dans cette station qui ne compte ni grands hôtels ni boîtes branchées, les activités balnéaires sont fondées sur la répétition de gestes apparemment pénibles : mettre les pieds dans l'eau glacée, prendre un bain de soleil sur les cailloux, sentir la bise du Nord en plein mois d'août, se baigner sous la pluie ; tout cela s'apprend et finit par se déguster. Ce sont nos aventures minuscules, très différentes des aventures grandioses ; elles exigent d'accomplir sans fin le même rituel qui, peu à peu, transforme la souffrance en routine et la routine en plaisir.

Plusieurs fois par jour, les habitués de la station recommencent leur déambulation sur le Perrey, cette promenade panoramique qui longe la plage d'une falaise à l'autre. Les plus courageux « font » leur premier Perrey dès le matin, en allant chercher le journal ; ils en profitent pour glaner une nuance de couleur ajoutée à leur réper­toire : comme ces miroitements argentés de la mer au début du jour. Sur le Perrey, l'habitué d'Étretat croise presque toujours d'autres groupes de sa connaissance et ils s'arrêtent un instant pour bavarder, sans s'éloigner des sujets conve­nus (Comment ça va ? Quel beau temps ! Un peu frais, quand même... Tu iras au mariage de la petite Machin ?). Ces échanges très faibles, mais pas totalement inconsistants, apportent au promeneur une légère excitation d'ordre social. Après quoi chacun reprend son chemin.

Le véritable Étretatais n'interrompt jamais très longtemps sa marche ; il « fait » son Perrey comme une marche militaire, ponctuée par de brefs moments sociaux. Sa foulée rapide conjugue la contemplation et l'exercice physique. Et, quand la saison s'achève ou que souffle la tempête, c'est encore sur le Perrey que se retrouvent au grand air les Parisiens en week-end pour contempler le spectacle de l'océan déchaîné ; chaque coucher de soleil leur permet d'admirer une dernière transformation rose des nuages, en échangeant des banalités. Certains soirs, par temps clair, ils se rassemblent devant le casino au coucher du soleil, pour tenter de saisir ce fameux « rayon vert », censé apparaître au moment où l'astre plonge dans les flots. Certains habitués affirment ne l'avoir jamais vu. D'autres prétendent l'observer souvent. Cette question minuscule continuera d'alimenter le bavardage qui demeure, ici, la principale forme de conversation : une façon de tourner autour de quelques dérisoires sujets d'intérêt local, d'y revenir toujours aux mêmes périodes de l'année en les variant légèrement, comme s'il était vain de se lancer dans des considérations plus sérieuses.

En saison, le Parisien d'Etretat respecte scrupuleusement les ­horaires du bain. A 13 heures et 18 heures il prend possession de la plage, au moment précis où les touristes s'en éloignent. Commencent alors les réflexions sur la température de l'eau, inépuisable sujet qui affecte toutes les générations de baigneurs.

La question se pose objectivement en approchant du rivage, face au vent du Nord qui souffle sur la plage par beau temps. Quelques minutes avant, allongé au soleil sur la pente de galets, vous aviez presque chaud. Devant la mer, vous serrez frileusement vos bras autour du ventre. Une vague plus longue que les autres lèche vos orteils et vous envoie une décharge glacée. Chaque baigneur se demande pourquoi entrer dans ce liquide cruel où, chaque jour, il s'inflige la même étrange punition ; mais il sait qu'il en ressortira plus joyeux ; pendant le bain, il éprouvera même certaines sensations délicieuses. Pour l'heure, le voilà figé parmi les autres baigneurs hésitants. Leurs pieds se mettent progressivement à température ; le reste du corps est toujours gelé.

Ceux qui terminent leur bain s'approchent du rivage en nageant avec volupté ; leur tête satisfaite émerge, un brin provocante, tandis que recommence l'inépuisable série de répliques répertoriées : « Elle me paraît froide, ce matin », dit celui qui va se baigner. « Il suffit d'y aller, elle est très bonne », rétorque celle qui sort de l'eau. « Au fond, nous sommes un peu masochistes », grommelle cet ironiste qui, l'autre soir, assurait n'avoir jamais vu le rayon vert. « Hou la la, c'est glacial ! », s'écrie un nouvel arrivant, comme s'il apprenait à la communauté quelque chose d'important. « N'hésitez pas, elle est délicieuse ! », conclut un optimiste, le plus agaçant de tous : descendant rapidement la pente de galets, il plonge d'un coup sec en éclaboussant tout le monde, disparaît sous l'eau, puis ressort la tête et s'éloigne en crawlant.

Ces dialogues n'ont guère de sens, car la température de l'eau, au mois d'août, est toujours la même, oscillant entre 17 et 19 degrés ; nul ne l'ignore. Chacun sait pourtant qu'il éprouvera chaque jour ce même doute au moment du bain ; et chacun sait qu'il appréciera ce plaisir revigorant. Mais le débat continue et se reproduit, année après année, avec la même spontanéité. Et l'on songe à nouveau que ce babillage, cet échange de sons et de fluides, doit être le simple bruit de fond qui accompagne la vie des bêtes. Mais il révèle aussi l'esprit de cette bourgeoisie en vacances qui ne s'ennuie jamais dans ses rituels, parle pour passer le temps, sans se départir d'une amabilité délicieusement artificielle. Ainsi peut-elle revenir continuellement aux mêmes questions, avec une naïveté mêlée d'ironie, un discret sourire qui laisse entendre qu'elle n'est pas dupe, mais que tout cela fait partie de l'art de vivre à Étretat.
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Magnakaï
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MessageSujet: Re: Etretat par Benoît Duteurtre   Etretat par Benoît Duteurtre Icon_minitimeMar 18 Juil 2006 - 1:00

Ah l'écriture legère de Benoit Duteurtre c'est François Ricard qui disait que les Romans de Duteurtre étaient comme des aquarelles.

Voici la couverture signée Sempé de son dernier roman (sortie 16 août) Chemins de Fer (Fayard)


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LP de Savy
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MessageSujet: Re: Etretat par Benoît Duteurtre   Etretat par Benoît Duteurtre Icon_minitimeMar 18 Juil 2006 - 13:03

La couverture n'est pas passée. On peut la voir ici :

http://desavy.canalblog.com/archives/2006/07/18/index.html
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MessageSujet: Re: Etretat par Benoît Duteurtre   Etretat par Benoît Duteurtre Icon_minitime

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