Propos insignifiants
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.
Propos insignifiants

Des livres et des écrivains, en toute légèreté.
 
AccueilRechercherDernières imagesS'enregistrerConnexion
Le deal à ne pas rater :
Manga Chainsaw Man : où acheter le Tome 17 édition Collector de ...
19.99 €
Voir le deal

 

 28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson

Aller en bas 
AuteurMessage
LP de Savy
Rang: Administrateur



Nombre de messages : 710
Date d'inscription : 06/04/2005

28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson Empty
MessageSujet: 28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson   28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson Icon_minitimeMer 12 Oct 2005 - 17:50

Il a quitté le parti communiste, mais se définit comme un matérialiste dialectique. A 45 ans, il mène exactement la vie qu'il projetait enfant: ni riche ni pauvre, écrivain ni intello ni populaire, tenant des chroniques sans être journaliste...

On s'attend à rencontrer le maestro de la formule qui fait mouche, le va-t-en-guerre masochiste des lettres, le dandy qui voudrait que tout le monde l'aime pour lui-même, le provocateur de ces messieurs dames, celui qui commenta la politique pour L'Humanité (crise cardiaque dans les rangs de droite) et chronique aujourd'hui la télévision dans les colonnes du Figaro Madame (crise cardiaque dans les rangs de gauche), le polémiste proserbe, procommuniste, pro domo, etc.
Ascension faite jusqu'au dix-neuvième étage d'un immeuble près de la place d'Italie, Patrick Besson, et c'est heureux, se tient bien vif derrière son Photomaton d'écrivain terrible et de grand enfant pas sage: grands yeux, grande carcasse, Paris à ses pieds, sa réputation au placard. Il rit par hygiène mentale, divague parce qu'il aime les utopies, évite les confidences appuyées car il est pudique et botte en touche quand ses contradictions l'empêchent de voler. Drôle d'oiseau qui voudrait, en plus de faire tout ce qu'il fait et d'être tout ce qu'il est, changer le monde.
En mars il publiait sept livres: un poche en France, une traduction en Serbie, cinq inédits à Paris dont un récit de 90 pages, 28, boulevard Aristide Briand (Bartillat), qui d'un coup le rendit aimable tous bords confondus. En quelques scènes écrites à la pointe sèche, le lecteur découvre papa Besson, maman Besson, Noël, le demi-frère né d'un père serbe, la Cité radieuse (à Montreuil) et les débuts d'un écrivain (en mai 68). C'est drôle, tendre, épuré, bouleversant et moins inoffensif qu'il n'y paraît. Maman est sublime mais idiote. Papa enamouré mais sans convictions, le demi-frère édifiant mais chassé, la littérature enthousiasmante mais indifférente à la vie d'un petit gars de banlieue, le premier amour puissant mais enfui. On sourit, parce que c'est la vie et que Besson a beaucoup d'esprit.
On se réjouit également de découvrir au fond du puits ce que l'on voyait déjà à la surface: qu'il est un écrivain complexe fait de provocations mais aussi de convictions et de questions. Les provocations sont dans les journaux, les convictions dans les romans et les questions au laboratoire comme toute bonne matière première.




Vous voilà pour la première fois en culottes courtes, avec un cœur qui fait boum-boum, c'est inédit, non?
P.B. Le cœur qui fait boum-boum comme vous dites, on l'entend dans tous mes livres et tous mes actes politiques. Si l'adulte gêne, c'est peut-être parce que tout le monde considère autrui comme un adversaire qui agit pour d'obscures raisons, par nihilisme ou par intérêt. C'est inquiétant tout de même cette façon de devoir être un enfant ou un vieillard pour rassurer.

Pourquoi ce récit n'est-il pas un roman?
P.B. Ce serait trop beau. Cela voudrait dire que rien de tout ça n'a existé.

Vous ne l'avez tout de même pas écrit contre votre volonté?
P.B. C'est une commande. Constance de Bartillat, une amie chère et l'éditrice du livre, m'a donné deux conseils. Le premier, c'était de m'adonner à des exercices d'admiration. Ce que j'ai fait en écrivant des chroniques pour Le Figaro. Le second, d'écrire sur mon enfance. J'ai traîné. Mais il a bien fallu que je m'y mette. J'ai recommencé quatre fois le début.

Où résidait la difficulté?
P.B. Cela ne m'intéressait pas, je connaissais l'histoire puisque c'est la mienne. Je n'aime pas les souvenirs d'enfance d'une façon générale. Mes positions sur le sujet sont proches de celles du XVIIIe siècle. Là, en quelques semaines, j'ai quitté Voltaire pour me rapprocher de Freud.

Comment avez-vous procédé? En vous souvenant comme Perec?
P.B. Tout le contraire! Je ne voulais pas fouiller, chercher, mais laisser venir les souvenirs qui s'étaient accrochés, ceux qui se présentaient comme sur l'étalage d'un marchand de fruits. Je voulais également montrer le moment où un enfant devient écrivain. Ce peut être à quarante ans comme Saint-Simon. Moi, c'est à douze ans que j'ai franchi le pas, pendant Mai 68, c'est ma contribution à l'histoire. Une histoire à laquelle j'adhère. Mai 68, ce fut un mois de vacances et un bon programme: ne pas travailler, voyager, s'envoyer en l'air... L'époque rêvée pour les personnes décalées, déviantes. Je garde un souvenir très doux, dénué de remords et de culpabilité de ces années-là. Moi qui ne voulais ne rien faire, ne rien être, ou tout changer, je partageais alors les idées dominantes à l'exception du folklore hippie gauchiste. Je lui préférais l'esthétique du pasteur norvégien. Si j'avais seize ans aujourd'hui, je souffrirais beaucoup, la société est très verrouillée.

Enfant, à la bibliothèque municipale, vous découvrez que vous n'habitez nulle part et que vous n'êtes personne pour la littérature: une entrée en matière ardue...
P.B. Tous les livres que j'empruntais à la bibli se déroulaient à Paris, à New York ou à Londres et campaient soit des aristocrates, soit de pauvres bougres. J'en ai déduit que si je n'étais pas dans les livres, je n'existais pas. Montreuil non plus. J'habitais un lieu sans histoire où aucun traité important n'avait été signé, un lieu où aucun sculpteur, aucun peintre, aucun acteur de cinéma n'était domicilié. J'ai éprouvé un sentiment d'injustice et de désolation immense. «Je vais changer tout ça», me suis-je dit. D'ailleurs, le roman que je préfère parmi ceux que j'ai écrits repose sur l'idée d'habiter dans un lieu qui n'existe pas, qui n'a pas réellement d'image dans la littérature ou le cinéma. Je l'ai écrit à vingt ans, c'était le livre parfait. Il y a tout dedans: Dara, 28 Boulevard Aristide Briand et Le plateau télé.

Depuis, la banlieue est devenue à la mode...
P.B. Et le dernier Prix Nobel de littérature habite Bagnolet! C'est dire si c'est gagné... Mais je ne partage pas l'humanisme humanitaire de certains ouvrages, la bonhomie de Daniel Picouly, par exemple. Dans la banlieue où j'ai grandi il n'y avait pas tant de bons sentiments.

On se demande qui, du demi-frère Noël, de Mai 68 et du père, a été le plus déterminant dans le passage à l'acte d'écrire.
P.B. Il y a eu conspiration. D'un côté, les étudiants ont conspiré pour qu'il y ait la grève dans mon lycée. De l'autre, mon père a conspiré pour que mon demi-frère quitte la maison. Du coup, j'ai pu avoir un bureau et devenir un cancre à l'école. Ce sont plutôt les cancres qui écrivent et je ne me souviens pas d'avoir rendu un seul devoir entre Mai 68 et mon année de terminale.

A quatorze ans, vous publiiez déjà des nouvelles...
P.B. Oui, dans Confidences. En me rencontrant, Claude Fessaguet, la rédactrice en chef adjointe du journal, l'auteur du Bénéfice du doute, m'a dit: «T'as une gueule d'écrivain, toi.» C'était très bien payé, 350 ou 400 francs de l'époque mais, en fait, je ne savais pas quoi faire de cet argent. Je vivais dans une cité et les filles de cet âge trouvaient casse-pieds que je les invite à déjeuner. Alors j'achetais tous les journaux et me rendais tout seul dans un bon restaurant. Je lisais la presse littéraire et je me soûlais. J'étais souvent ivre mort à l'époque. Entre 14 et 25 ans vous êtes tout seul lorsque vous écrivez. Avec qui voulez-vous en parler? J'ai appris à vivre dans mon coin et j'ai couru faire mon service militaire! Pendant un an j'ai pu agir comme tout le monde, être comme tout le monde. Quel soulagement! ... Récemment, j'ai appris que Marcel Proust avait voulu s'engager au terme de son service. L'armée n'a pas voulu de lui. N'empêche, son année sous les drapeaux fut la seule de toute sa vie où il n'a pas souffert d'asthme.

Vous écrivez page 45: «J'avance dans la bibliothèque de Montreuil comme dans une jungle [...]. Je vais donc être un jeune, puis moyennement jeune, puis moyennement vieux, puis vieux, puis très vieux romancier. Femmes, argent, voyages. Je m'imagine au paradis. D'où j'écris, trente-trois ans plus tard, ce texte?» Alors...
P.B. Ma vie est exactement celle que je voulais avoir à cet âge-là. C'est troublant de découvrir que l'on obtient toujours ce que l'on veut. La question qui demeure étant de savoir si les choses auxquelles on aspire sont bien... Je ne voulais être ni un écrivain intello ni un écrivain populaire, je voulais être bizarre, singulier, à part. Je voulais également intervenir dans la presse mais sans être vraiment journaliste. Et je ne voulais être ni pauvre ni riche, situations aussi aliénantes l'une que l'autre. C'est le cas.

Votre vie fut une longue préméditation?
P.B. Ce que j'aime le plus dans le marxisme, c'est le plan quinquennal, je trouve cela très artistique. C'est important de se dire les choses que l'on va faire et de les faire. Sans cela il n'existerait ni œuvre, ni société, ni amour. Les intentions ne sont pas des faits.

L'action d'abord et toujours?
P.B. Ecrire est un acte qui se joue dans le moment, comme la prise de parole, le direct. J'écris comme on dévoile une statue, comme un archéologue exhume. Je creuse. Si je ne trouve rien, je déchire. Si cela résiste, j'y vais. Le livre est en dessous, il préexiste. C'est pour cela qu'il m'est impossible de le refaire, d'écrire plusieurs versions comme s'il allait en avoir une meilleure. Pour moi, écrire c'est franchir la distance qui me sépare du livre que j'ai écrit de celui que je vois devant moi. Après un livre, il faut en écrire un autre.

Sans relâche?
P.B. Lorsque j'écris je ne suis pas là, je ne suis pas dans la vie, je suis un homme invisible. Même si je n'écris pas plus de deux feuillets par jour et pas plus de cinq jours par semaine, jamais le soir et jamais en dehors de Paris. Les heures que j'ai vécues, celles où je n'ai ni dormi ni écrit, représentent seize ou dix-sept années. Je n'ai pas beaucoup duré sur cette terre. Mais écrire permet de vivre d'autres choses d'un cœur léger...

Jetez-vous beaucoup?
P.B. Cinq ou six débuts depuis un an. En art, vous perdez tout le temps, alors inutile d'être mauvais perdant! Et je corrige au moment même où j'écris. Je suis très maniaque. Je ne supporterais pas de laisser publier une phrase dont je ne suis pas satisfait, même dans un obscur journal lycéen. Ecrire, c'est mettre de l'ordre dans un fouillis. Ce côté compulsif obsessionnel s'aggrave avec l'âge si j'en crois Marguerite Duras, qui avait besoin de faire son lit avant de se mettre au travail, ou Patricia Highsmith dont la maison, à la fin de sa vie, était quasiment vide.

Il y a dix ans, vous annonciez que vous arrêteriez d'écrire à quarante ans. Or, vous en avez quarante-cinq...
P.B. A vingt-cinq ans j'étais très tendu. Je voyais devant moi tous les livres que je voulais écrire. Au point d'avoir répondu à mon actuelle femme qui me proposait le mariage: «Non, là je suis trop tendu.» Elle est revenue dix ans après me dire: «Tu devrais être détendu maintenant.» Et nous nous sommes mariés. C'est très reposant le sentiment d'avoir fini son œuvre, comme dit Modiano. J'y suis presque, il me reste deux ou trois romans à écrire, c'est tout. Je voulais terminer plus tôt car je trouve qu'écrire est une activité juvénile. A soixante ans, mieux vaut prier, être critique, s'occuper de ses petits-enfants ou se mettre au lit.

Comment décririez-vous votre œuvre?
P.B. Toutes les phrases sont de moi, tous les personnages, toutes les histoires. Ce que je vous dis là a l'air stupide mais ça ne l'est pas. Cela veut dire qu'il n'y a dans mes livres rien de pris à quelqu'un d'autre, ni rien d'écrit sous l'influence du marché ou de la mode. C'est rond et c'est carré, c'est autonome. C'est exactement la façon dont j'ai vu la vie et ce que j'ai pensé sans aucune espèce de retenue.

Quelle différence faites-vous entre l'écriture d'un article et l'écriture d'un roman?
P.B. Aucune! Bâcler un article de journal, c'est criminel. Je suis un matérialiste dialectique. Pour reprendre les termes de Hegel, le journal c'est la «Bible du matérialisme». C'est sacré, la messe quotidienne du matin. J'apporte le même soin à l'écriture d'un article qu'à celle d'un roman, même s'ils ne peuvent avoir le même destin. Un article, par définition, est éphémère. Prenez ceux qu'écrivirent Albert Camus, Gérard de Nerval ou Théophile Gautier: personne ne les connaît et ils sont forcément moins bons que leurs livres. Prenez le J'accuse...! de Zola, personne en réalité ne l'a lu, mais sans cet article Zola ne serait pas le même. Ecrire un article c'est un don fait à l'époque, un don bénéfique pour soi et pour les autres.

En quoi est-ce bénéfique pour soi?
P.B. Dans un article vous pouvez prendre parti. Alors que si vous le faites dans un livre, le livre est foutu et en plus, si le parti change, vous avez l'air malin! Un roman ne doit pas être idéologique. Beaucoup d'écrivains ne peuvent pas, ou ne veulent pas, ou ne se sentent pas capables d'écrire ce qu'ils pensent, ce qu'ils ressentent au quotidien. Ils craignent que cela nuise à leur œuvre. Pourtant, si vous discutez un peu avec eux, vous vous rendez compte qu'ils ont des idées délirantes. En ne s'exprimant pas ils deviennent bilieux, bourrés d'humeurs et tentés, souvent, d'instiller de façon sournoise de l'idéologie dans leur œuvre. Annie Ernaux, Camille Laurens, Christine Angot devraient écrire plus souvent dans les journaux, d'autant qu'elles écrivent clair, vif et précis. Cela les libérerait de beaucoup de choses qui les encombrent.
Revenir en haut Aller en bas
LP de Savy
Rang: Administrateur



Nombre de messages : 710
Date d'inscription : 06/04/2005

28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson Empty
MessageSujet: Re: 28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson   28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson Icon_minitimeMer 12 Oct 2005 - 17:51

L'ennui, tout de même, avec un article, c'est qu'aussitôt il peut être retenu contre vous. Vous en savez quelque chose, non?
P.B. Si j'ai réagi contre l'unanimité des intellectuels contre la Serbie ou contre le procès raciste auquel le boxeur noir américain Mike Tyson a eu droit parce qu'on lui déniait le droit d'être vicieux comme un Blanc, ou contre Robert Hue, le secrétaire général du parti communiste, c'est que j'avais mes raisons et que je savais de quoi je parlais. Pour moi la race, la religion et la nationalité sont des fantasmes, seuls existent la couleur, la classe sociale et le signe astrologique. Dans tous les cas, les intellectuels ne sont pas plus intelligents que les autres, il faudrait enfin l'admettre.

Bien. Et pourquoi avez-vous quitté le parti communiste?
P.B. Je l'ai fait car je savais que j'allais m'engager en Serbie et je ne voulais pas que l'on dise que les communistes étaient des épurateurs ethniques. Je voulais m'engager seul dans cette affaire. Ceci dit, les communistes sont les seules personnes dénuées d'hystérie que j'aie rencontrées. Ce sont des gens raisonnables, rationnels, prolétaires et cultivés. Ce qui leur importe ce n'est ni le snobisme échevelé, ni la haine sociale, ni l'intégrisme religieux, mais la raison. Ils s'emploient à résoudre les problèmes au mieux, sans emphase. Si j'ai quitté le PC, c'est aussi que je ne voulais pas être étiqueté écrivain communiste. Quand j'étais au Parti, le Pdg d'Albin Michel m'appelait «camarade». Les écrivains en fait n'ont pas droit à grand-chose. Dès qu'ils font de la politique, qu'ils déclinent leurs idées dans les journaux, ils sont punis comme de mauvais élèves. Dans leur ensemble, les conditions de vie des écrivains sont ardues. Prenez les foires du livre, les émissions à la télévision: c'est le capital en folie. Tout le monde collabore, c'est Vichy. Il faudrait, pour commencer, supprimer toutes les émissions littéraires car les écrivains, et leurs éditeurs surtout, vivent dans cette hantise: décrocher une télé, faire une bonne prestation puis en attendre les retombées. La question du texte, de sa qualité, de sa liberté, devient secondaire. Ingmar Bergman, lui-même, considère qu'il est néfaste pour les artistes que l'on connaisse leur nom, que la notoriété détériore l'inspiration. Un numéro de série pour chaque auteur en lieu et place du patronyme sur la couverture des livres, ce serait bien, non?

Croyez-vous que tous les lecteurs soient dupes du marketing télévisuel?
P.B. Non, mais je remarque qu'ils ont, eux, de plus en plus tendance à attendre du livre une consolation, une certitude. Or, un livre ne remplit ni de près ni de loin les fonctions du curé, du médecin ou du cuistot. Comment ose-t-on parler de roman d'évasion? Dans une société qui se porte bien, les gens n'ont pas besoin de s'évader. Le livre, c'est l'art. C'est froid, lointain, compliqué, inutile, insupportable...

Quelles étaient les opinions de vos parents?
P.B. Ma mère était une Croate monarchiste serbe, mon père un demi-juif gaulliste. Tous les deux étaient très étrangers à la politique et à la religion. C'était un couple de joyeux danseurs, frivoles, sérieux. C'était une histoire d'amour et ils m'ont découragé d'en vivre une lorsque j'ai vu ce que ça devenait.

C'est-à-dire?
P.B. Pas terrible.

Page 42 vous écrivez: «Je n'ai pas assez, de son vivant, admiré mon père d'avoir fait ce que peu d'hommes sur terre sont capables de faire: rencontrer la femme de sa vie, divorcer pour elle, lui acheter un appartement, lui faire un enfant et réussir à la garder longtemps après qu'elle eut cessé de l'aimer.» C'est un hommage?
P.B. Je trouve ce comportement à la fois fort et odieux. Ma mère était prisonnière et mon père prisonnier de sa prisonnière. C'est la raison pour laquelle j'ai, très souvent et très vite, quitté les gens. C'est la raison pour laquelle aussi j'ai toujours considéré le consentement comme très important. Jamais je ne voudrais forcer les gens. Surtout pas à me lire. Je me souviens de Jean d'Ormesson disant: «Je suis de ces heureux mortels qui ont un public captif.» Quelle horreur! D'ailleurs je ne supporte pas le marketing, cette façon de forcer les gens à aimer ce qu'ils n'aiment pas.

C'est votre côté libéral?
P.B. J'aime les utopies - l'Antiquité aussi - et le programme politique que j'ai commencé à échafauder, en vue d'un gros livre, défend plutôt une société socialiste idéale. Pas de téléphone, pas de télévision (je ne supporte pas la vie virtuelle), le même salaire pour tous, des appartements de deux pièces pour les célibataires, de trois pour les couples, etc. - c'est-à-dire qu'à vingt les gens habiteraient vingt et une pièces, j'ai fait mon calcul. La retraite à quarante ans, l'obligation faite à tous d'écrire afin de se soulager de ses pensées, de ses rêveries, de ses fantasmes, et des transports uniquement collectifs. Il faut rester ensemble, c'est très important. Si les stades rassemblent jusqu'à 20 000 personnes, ce n'est pas seulement pour regarder un match. Je crois beaucoup au collectif.

Vous avez pourtant failli nous quitter en 1975...
P.B. J'avais publié deux livres, perdu la femme de ma vie et me sentais découragé par le talent de Giraudoux dans L'école des indifférents. Je n'avais rien à faire sur terre et j'étais fatigué par l'effort qu'il m'aurait fallu fournir pour parvenir à devenir quelqu'un à mon goût. Je garde un très bon souvenir de mon suicide raté. Après avoir avalé mes cachets, au moment de perdre conscience, j'ai éclaté de rire. Il s'agissait bien d'une farce. C'était satisfaisant d'avoir risqué sa vie, d'avoir fait le sacrifice suprême. Les vingt années qui ont suivi, j'ai eu peur en permanence de mourir avant d'avoir fini mon œuvre. Jusqu'à la publication des Braban. Depuis, je n'ai plus peur de rien.

Vous employez souvent l'expression «être sur terre». Croyez-vous au ciel?
P.B. C'est une expression matérialiste. Il n'y a que deux façons d'être: être sur terre ou être sous la terre. On ne peut pas être ailleurs. Sauf dans les livres.

28, Boulevard Aristide Briand
Patrick Besson
BARTILLAT

www.Lire.fr (juin 2001)
Revenir en haut Aller en bas
LP de Savy
Rang: Administrateur



Nombre de messages : 710
Date d'inscription : 06/04/2005

28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson Empty
MessageSujet: Re: 28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson   28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson Icon_minitimeMer 12 Oct 2005 - 17:53

Comment devient-on écrivain ? Pour Patrick Besson, c’est la faveur d’une révolution qui précipita la vocation littéraire, comme nous l’apprend "28, boulevard Aristide Briand". Mai 68, Montreuil-sous-Bois : l’école est finie. Le garçonnet de douze ans devient écrivain à plein temps. Dans le petit appartement d’un immeuble de la Cité du Printemps, il écrit son premier roman sous l’œil réprobateur de sa mère et découvre la bibliothèque municipale où son père lui explique qu’il est inutile de posséder des livres quand on peut les lire. "28, boulevard Aristide Briand", derrière le récit d’une comédie familiale teintée d’une mélancolie rieuse, nous montre que la vie d’un enfant, comme celle d’un écrivain, est un rêve éveillé. On attend chaque chose comme une promesse pour ensuite se demander si tout cela s’est réellement passé et de quelle façon. Restent alors quelques traces, témoignages vagues et épars, que la littérature ordonne ou disperse. À défaut de comprendre sa vie, on observe celle des autres : “ Je regarde dans la nuit toutes ces vies heureuses que je n’aurai pas et ça ne me rend pas triste, au contraire. Je suis plein d’une amertume légère, d’une mélancolie que je me contenterai d’orner, d’année en année jusqu’à ma mort, de conquêtes anodines. ” La vie comme une mission de reconnaissance dont on aimerait revenir avec la certitude que tout est pour toujours : “ Papa et maman en grande tenue au premier rang. Je suis l’illustration béate de leur bonheur, je serai bientôt le témoin épouvanté de leur malheur. Ce que j’aime dans mon enfance, c’est que je ne jugeais pas mes parents, et ce que je hais dans mon adolescence c’est, bien sûr, le contraire. Tous ces bons moments classiques que mon père a vécus avec moi et que je ne vivrai pas avec mes fils, car l’époque ne s’y prête plus et moi-même je ne m’y prête guère. ”

Christian Authier, l'Opinion indépendante. (juillet 2002)
Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé





28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson Empty
MessageSujet: Re: 28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson   28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson Icon_minitime

Revenir en haut Aller en bas
 
28, Boulevard Aristide Briand de Patrick Besson
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Patrick Besson par Nicolas Rey

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Propos insignifiants :: Archives :: Ecrivains :: Patrick Besson-
Sauter vers:  
Ne ratez plus aucun deal !
Abonnez-vous pour recevoir par notification une sélection des meilleurs deals chaque jour.
IgnorerAutoriser