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 Les enfants de la bile

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LP de Savy
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MessageSujet: Les enfants de la bile   Les enfants de la bile Icon_minitimeVen 20 Jan 2006 - 1:10

Les enfants de la bile

Sébastien Lapaque

[19 janvier 2006] Le Figaro littéraire

Du promeneur solitaire romantique à l'artiste maudit, ruminant sa supériorité bafouée dans sa chambre de bonne, l'écrivain seul contre tous est une figure centrale de la modernité littéraire.
C'est Jean-Jacques Rousseau errant sur les routes de France, chassé des salons et des alcôves ; Léon Bloy éructant des injures en latin dans sa grosse moustache de morse sublime ; Georges Bernanos filant en Amérique latine avec sa femme et ses six enfants, désespéré par une France où plus une parole libre ne pouvait se faire entendre ; Louis-Ferdinand Céline voyant partout des complots contre lui, menaçant Gaston Gallimard et mettant les critiques en demeure de saluer son génie... Les milieux littéraires n'ont certes jamais ressemblé à des bergeries. Mais, grâce à ces magnifiques fauves, ils ont quelquefois pris des couleurs de ménagerie.


L'habile dompteur qu'est Bernard Pivot s'en est délecté, invitant avec malice de grands rugissants sur le plateau d'Apostrophes, organisant les duels, et comptant les morts sur le champ de bataille cathodique avec une gourmandise enfantine. Personne n'a oublié la prestation étincelante de Marc-Edouard Nabe, en 1985, au moment de la parution d'Au régal des vermines. Choquer le bourgeois est certes un sport que les écrivains français ont pratiqué de toute éternité, mais, ce vendredi soir, la discipline s'est enrichie de superbes figures libres. Vingt ans après, Au régal des vermines reparaît avec une préface dans laquelle Marc-Edouard Nabe se retourne sur son passé avec une grande drôlerie, comparant le destin littéraire de Michel Houellebecq et le sien. Celui-ci semble avoir tout perdu quand celui-là a tout gagné. Mais qui donc connaîtra le dernier mot de l'histoire ? En littérature, il n'y a peut-être que les perdants magnifiques pour gagner autre chose qu'un peu de signe arraché au gros animal social.


L'écrivain maudissant
De Barbey d'Aurevilly à Maurice G. Dantec, en passant par Huysmans, Léautaud et Jean-Edern Hallier, toute l'ambiguïté de la situation de l'écrivain non pas maudit, mais maudissant, vient de là. Il sait bien que c'est en perdant au présent qu'il a une chance de gagner un petit peu d'éternité historique. Mais il enrage de le savoir, accusant ses contemporains de «vivre et penser comme des porcs», pour reprendre le titre d'un tonitruant pamphlet du regretté Gilles Châtelet. Alors il maudit, remâche, éructe, crachant sa rage à la face du monde.


De la solitude à l'imprécation, il n'y a qu'un pas, souvent franchi. Les moeurs policées des citoyens des démocraties commerciales n'ont pas réussi à étouffer l'imprécation, ce genre littéraire majeur depuis les grands poètes hébraïques. Rien ne peut y faire. Il reste des Philippe Muray, des Jack-Alain Léger et des Jean-Claude Michéa pour régaler leurs lecteurs de leurs malédictions. Qui donc s'en plaindra ? Leurs mots de feu répandent une terreur salutaire, regonflant les coeurs et réveillant les esprits.


Il y a quelque chose de beau dans les injures de ces artistes aussi solitaires que le tigre de William Blake. On ne devrait jamais laisser la psychanalyse se pencher sur la situation de ces grands rugissants. Laissons les blouses blanches à leurs cliniques, laissons les voir partout des cas exemplaires de mégalomanie paranoïaque... Si Bagatelles pour un massacre est déplaisant, c'est que Céline s'est «trompé d'urinoir», comme le sentit Bernanos au moment de la parution du livre. Et non pas parce qu'il serait l'oeuvre d'un délire systématisé, avec production d'hallucinations en jet continu... En d'autres circonstances, ce délire a donné naissance à de grands livres. Car le paranoïaque est un être respectable. Son délire est quelquefois un fabuleux carburant romanesque. Chez Céline, tout vient de là. «Je me suis sacrifié, au fond, je suis un martyr dans mon genre... J'ai perdu un bien joli poste, pour la violence et la franchise des Belles Lettres françaises...»


Mais quand l'imprécation engendre le crime ? demanderont les méfiants. Quand elle porte une violence qui n'est pas faite seulement que de mots ? On entend bien l'objection de ceux qui rêvent d'une littérature plus sage, terrifiés par ces torrents de boue auxquels s'est quelquefois mêlé du sang. Il est impossible de ne pas recevoir leurs arguments. En la matière, l'histoire du XXe siècle nous a fait sortir de l'innocence. Ce qui n'empêche pas les âmes fortes de continuer à avoir besoin d'être tourmentées, tel le Bossuet du Panégyrique de saint Victor réclamant au Ciel de l'affliction pour soutenir l'esprit du christianisme : «Seigneur, rendez-nous les tyrans, rendez-nous les Domitien et le Néron.» Et dans le fond, nous continuons à aimer les écrivains qui se proclament seuls contre tous, c'est que ce sont de généreux tourmenteurs.
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